H. Besse constate335 que le français institutionnellement enseigné/appris, n’est pas la langue française, mais une de ses variétés, celle qui est perçue par l’ensemble des francophones et un nombre de non francophones, comme étant plus légitime que ses autres variétés. Et ce n’est que par métonymie (« la partie pour le tout ») que le français, tel qu’il est institutionnellement entendu, peut être considéré comme un synonyme de la langue française .
D’après H. Besse, dans l’éventail des variétés de la langue française présentées aux débutants, les manuels actuels - réputés « communicatifs » - édités en France ne vont guère au-delà de ce que propose Archipel dans sa seule « Unité 1 ». On y trouve: « Salut ! », « sympa », « t’as vu », « vous êtes pas », « ouai », « ben », « chouette », « prof », « à rue Lhomond » (dans la bouche d’un enfant), « sans blague », « super », « marrant », et même deux répliques («- Ena whisky, parakalo. »; « - Oui, Grec, moi… pas parler français. Mon français no good, petit peu, pas bien. ») qui relèvent du « baragouinage communicatif » auquel les touristes ont recours quand ils ignorent la langue du pays visité. Autant de formes et de tournures qui ne sont pas courantes dans les manuels de FLE ou FLS pour les débutants. On y observe aussi que l’enfant n’y parle pas tout à fait comme l’adulte, le travailleur immigré comme la secrétaire, etc. H. Besse en déduit que les auteurs d’Archipel ont été plus attentifs que d’autres à présenter, d’emblée, un certain répertoire des usages actuels de la langue française, même si ces usages sont plus attestés en France qu’ailleurs dans le monde francophone. Toutefois, le chercheur reconnaît que ce qui est donné à apprendre, reflète plutôt une certaine représentation de la diversité des usages réellement pratiqués par les francophones, la variété cultivée de la langue française.
H. Besse constate que les dialogues les plus « authentiques » qu’on trouve dans les manuels de FLE et FLS sont réécrits et rejoués, au mieux par des natifs qui imitent certains parlers à défaut de les pratiquer spontanément. Les « documents authentiques » y sont le plus souvent prélevés dans les médias ou dans la publicité français, lesquels usent de ces parlers pour typifier la langue sans trop remettre en cause la variété cultivée au sein de laquelle ces parlers sont davantage cités. Ainsi, estime le chercheur, le français tel qu’il y est effectivement enseigné/appris est loin de correspondre à diversité de la langue française réellement pratiquée, au moins oralement, tant en France que hors de France. Il n’en est qu’une variété cultivée reconnue – et à juste titre -, y compris par ceux qui ne la parlent/écrivent pas, comme emblématique de cette langue, par ce qu’elle résulte de la culture qui en a été faite, au cours des siècles, par une élite à la fois sociale (celle de la Cour puis d’une certaine bourgeoisie), artistique (de « la plus saine partie des Auteurs du temps » aux écrivains et publicitaires actuels) et savante (des grammairiens aux linguistes actuels). Ce qui autorise, selon H. Besse, la métonymie courante faisant du français (« la partie ») un équivalent de la langue française (« pour le tout »), ce qui permet de le faire passer comme celui du « plus grand nombre ».
H. Besse observe que dans les milieux qui pratiquent la langue en question plus ou moins dans leurs échanges quotidiens, son oralité peut être transmise « par usage ». Mais faut-il encore qu’il y aie quelqu’un qui soit à même de transmettre quelque chose du « par règles » engagé par la culture constitutive de cette variété.
D’après H. Besse, apprendre cette variété cultivée « par usage » en tant que L2 peut être, paradoxalement, plus facile, au moins quand elle est apprise dans un cadre scolaire et qu’elle l’est davantage comme « FLE » que comme « FLS ». En atteste le fait qu’une partie de ceux qui l’ont ainsi apprise la manient plus « correctement » que ses natifs, s’étonnant à l’occasion que les Français, parce qu’ils usent spontanément d’expressions allant à l’encontre du « par règles » qui la régit, la parlent « mal ». Dans les deux cas, l’étudiant débutant ne parle aucune variété de la langue française, mais dans les situations où elle est enseignée en tant que « FLS », elle sert à enseigner d’autres matières scolaires qu’elle-même, et elle est, en plus, pratiquée en dehors de l’institution dans l’une ou l’autre de ses variétés; alors qu’en tant que « FLE», l’apprenant n’y est confronté que durant les cours qui lui sont réservés, l’input pouvant être alors davantage contrôlé.
H. Besse résume que l’objet enseigné/appris, particulièrement quand il s’agit de cette variété cultivée de la langue française qu’est le français, s’inscrit dans une longue histoire d’ordre plus culturel que naturel, et les capacités par lesquelles un sujet peut institutionnellement approprier cet objet relèvent davantage de son histoire personnelle que de son héritage génétique, celui-ci n’ayant, dans l’état de nos connaissances actuelles, guère changé depuis des millénaires et étant à très peu près le même pour l’ensemble de l’espèce humaine.
BESSE H., « Peut-on « naturaliser » l’enseignement… », op. cité, p.39.