9. 7. La construction de la relation interpersonnelle en classe de langue

Depuis l’article de D. Coste sur « les discours naturels de la classe »,339 ceux qui s’intéressent aux interactions didactiques savent que la classe, comme tout lieu social, « comporte ses normes <…> obéit à ses rituels ». Les échanges en classe de langue ne sont plus considérés comme artificiels en regard d’une mythique interaction naturelle de référence, mais comme répondant à des règles implicites que l’on peut chercher à identifier et à formaliser.

L’enregistrement, la transcription et l’analyse des interactions qui se développent dans la classe permettent d’étudier de près le développement des échanges, tout en gardant de la distance. Le contexte est redéfini par l’échange et « l’interaction est le lieu où se construisent et se reconstruisent indéfiniment les sujets et le social ».340

Violaine Bigot est persuadée que l’étude de la construction de la relation interpersonnelle permettra de produire des savoirs pertinents pour la didactique.341

En s’appuyant sur ses expériences, V. Bigot affirme que, si la dissymétrie des statuts et des rôles est constitutive de l’interaction didactique, un rééquilibrage « relatif » des rapports entre professeur et apprenants favorise la prise d’initiative langagière de ces derniers et peut leur donner des occasions variées et multiples de participer aux échanges et d’orienter, voire de contrôler, la nature des données auxquelles ils s’exposent (en compréhension et en production).

V. Bigot constate que nous disposons d’outils théoriques pour analyser un mode de relation dans un groupe. Il s’agit du concept de faces et de figuration de Goffman, de la théorie de la politesse de Brown et Levinson et des travaux plus récents sur la « linguistic politness » (autour de Watts notamment), du concept de taxèmes de Kerbrat-Orecchioni (1992), etc. Mais la chercheuse ne les trouve pas suffisants pour permettre d’identifier les comportements favorisant une relation égalitaire ou « intime » ou encore ceux favorisant une relation inégalitaire ou une relation distante.

Ainsi, une approche descriptive de la question de la construction de la relation en classe de langue étrangère s’impose. Les analyses s’efforcent de répondre à des questions en « comment »:342 comment les enseignants (et secondairement les apprenants) se font-ils savoir à quelle place ils convient, convoquent, tentent de convoquer leurs partenaires ? Comment leurs modes de questionnement ou d’évaluation contribuent-ils à construire une relation spécifique ? Comment les participants se catégorisent-ils notamment en choisissant de mettre ou de ne pas mettre en discours les différentes facettes de leurs statuts ? Comment se positionnent-ils énonciativement ? Comment (et par qui) l’interaction est-elle structurée du point de vue du découpage en séquences et de la circulation de la parole ?

Selon V. Bigot, la recherche entreprise constitue quasiment un pré-requis pour pouvoir réfléchir à d’éventuels effets de la relation interpersonnelle sur les conditions de pratique et d’appropriation langagière en classe de langue.

La chercheuse souligne un rôle fondamental du contexte dans la valeur que peuvent prendre, du point de vue de la construction de la relation interpersonnelle, les différentes activités langagières observables. L’absence de réaction de la part de l’apprenant à la suite d’un compliment lui étant adressé par l’enseignant ne pourra pas être interprétée de la même manière en contexte didactique que dans des contextes non-didactiques. L’ordre constitue généralement un taxème fort de position haute. Le fait d’atténuer la valeur offensante ou menaçante d’un ordre constitue une norme à respecter pour conserver le caractère non conflictuel d’une interaction. Dans un contexte institutionnel éducatif, rappelle V. Bigot, les statuts respectifs d’enseignant et d’apprenants génèrent une spécificité des rôles et une inégalité de la relation reconnue et acceptée par les participants. C’est pourquoi, les enseignants de langue étrangère ne s’encombrent pas d’«adoucisseurs » chaque fois qu’ils formulent une demande de répéter ou de reformuler. En classe, résume V. Bigot, de nombreux ordres donnés dans le cadre du « contrat didactique » peuvent ainsi être formulés de manière très laconique. Toutefois, plutôt que la forme « nue » de l’impératif, il est préférable que l’enseignant fasse recours à des formes complexes atténuant le caractère injonctif de sa demande, la transformant à une suggestion, comme: « Vous pouvez continuer ». L’assertion et l’acte de requête peuvent être accompagnés par le modalisateur « je crois ». Par cette formulation, explique V. Bigot, l’enseignant indique qu’il reconnaît le caractère menaçant de son intrusion dans le discours de l’exposant dont elle rappelle ainsi le rôle de locuteur privilégié.

Il semble fondamental, selon V. Bigot, de prendre en compte des caractéristiques plus ou moins stables du contexte (le cadre spatio-temporel, le nombre et le statut des participants…) sans pour autant perdre de vue son caractère fondamentalement « mouvant ».

La chercheuse affirme que le sujet et le social co-construisent mutuellement dans l’interaction. Les participants à un échange réinventent à chaque fois les modes de construction de la relation possible, et ce faisant, ils redéfinissent la nature de leurs relations qu’imposent a priori, et avec plus ou moins de force, le cadre de l’échange et les statuts des participants.

V. Bigot explique qu’avant d’aborder les « interactions verbales professeur-apprenants » comme des « données » à analyser, le chercheur les aborde en général de son point de vue de sujet (riche notamment de ses expériences d’apprenant et de professeur), comme un fragment de la vie interactionnelle de plusieurs sujets vis-à-vis desquels il développe des sentiments comparables à ceux qu’il développerait face aux personnages d’un film de fiction (sympathie, projection, antipathie…). On cherche justement à étudier la manière dont les participants à l’échange s’engagent dans l’interaction en tant que sujets, au-delà de leurs simples rôles interactionnels d’enseignant et d’apprenants. C’est parce que le chercheur a l’intuition face à deux cours comparables que les participants construisent des relations très différentes, qu’il va décider d’étudier systématiquement certaines de ces caractéristiques en vue de mieux comprendre les modes de construction de la relation interpersonnelle. V. Bigot conclut que les enregistrements sont comparables parce qu’ils se déroulent dans une même institution avec un même type de public et une même activité pédagogico-didactique.

Notes
339.

COSTE D., « Les Discours naturels de la classe », dans: Le Français dans le monde, n°183, 1984, p.p.16-25.

340.

VION R., La Communication verbale…, op. cité, p.93.

341.

BIGOT V., « Quelques questions de méthodes pour une recherche sur la construction de la relation interpersonnelle en classe de langue: primauté des données et construction de savoirs », dans: Ploquin F. (réd. en chef), Le Français dans le monde, juillet 2005, p.p.42-53.

342.

Idem, p.45.