1. 2. Corps de l’interaction des corpus

Il apparaît tout de suite que le corps de l’interaction le plus étendu est celui du premier corpus. Il est équivalent à 456 tours de parole. Le deuxième corpus en contient 199.

C’est bien entendu la différence des niveaux de FLE qui explique en partie la différence de tailles de corpus: certains apprenants ont besoin de plusieurs interventions de l’enseignant ou d’aide de leurs camarades de groupe afin de donner une réponse plausible à la question posée. En même temps, nous avons déjà conclu que logiquement, l’enseignant ayant refait la même activité dans les deux groupes parallèles, a toutes les chances de se montrer plus « habile » lors de sa deuxième expérience, en obtenant plus vite des réponses attendues.

Au début des deux corpus analysés, l’enseignant incite l’une des apprenantes du groupe à co-diriger l’activité, en la chargeant de poser les questions sur le contenu du texte et de choisir les personnes à y répondre (E = enseignant, A = apprenant):

corpus 1 corpus 2
1 E   : <…> bien nous lisons = ces questions et nous discutons = euh: enfin ces questions-là
s’il vous plaît mhm qui va commencer ? mhm
2A1: <une apprenante toussote>
3E : mad[e]moiselle
4A1 : décrivez les toutes premières #impressions du héros de ce texte le matin de sa première journée de travail = euh: le matin de sa première journée de travail le jeune professeur euh est déjà levé à six heures <…>
11 E   : <…> je crois que nous euh nous faisons de la manière suivante ça veut dire euh euh: l'un d[e] vous euh: va poser ah?n'est-ce pas? les questions qui suivent hum? euh il va choisir ah? n'est-ce pas? la personne à qui /e:/ elles s'adressent↓ n'est-ce pas? euh: et enfin euh elle va peut-être ajoute:r quelque chose enfin compléter si vous voulez↓ n'est-ce pas? d'accord
bon qui va: qui va l[e] faire ? hum? Anne↑ s'il vous plaît<…>;
1 E   : <…>euh: alors euh: la première question à poser s'il vous plaît <en désignant par un geste la personne à exécuter l’acte>
2A1: décrivez les toutes premiers premières ^impressions du héros d[e] ce texte le matin de sa première journée de travail
Nathalie↓
3E   : eh bien↑ <…>
8A2   : === c'est tout
9E: c'est tout / ah Nathalie ? elle dit que c'est tout <…>.

Il s’agit en fait des types d’interventions de l’enseignant visant à faciliter le traitement de l’input, d’après la classification de C. Carlo.

Les deux corpus sont basés sur le même questionnaire du manuel366, mais le choix des questions ainsi que leur nombre total varient légèrement d’un corpus à l’autre. Le corps de l’interaction du corpus 1 englobe 17 questions et leurs réponses, dont 14 sont formulées d’après le questionnaire du manuel. Le corpus 2 contient 11 questions, dont 10 se basent sur ledit questionnaire.

Voyons un peu la différence et la similitude du choix des questions dans les deux groupes. Par exemple, la question 2 – Comment le jeune professeur se prépare-t-il à cette journée ? – ne figure pasdans le corpus 2, puisque, après avoir fait la même activité avec le premier groupe, l’enseignant l’a trouvé certainement similaire à la question précédente du questionnaire: Décrivez les toutes premières impressions du héros de ce texte le matin de sa première journée de travail ? La question 5 (Décrivez avec le maximum de détails possible l’apparition des élèves et le comportement du professeur à ce moment. Commentez et expliquez sa conduite du point de vue psychologique.) n’est mentionnée dans aucun des deux corpus, sans doute parce que, d’une part, la pure description n’est pas le but du polylogue, et d’autre part, l’enseignant a sûrement considéré que ses étudiants n’ont pas le niveau suffisant pour manipuler des termes psychologiques, la réponse aurait pris trop de temps et d’efforts. Il a ainsi privilégié les questions permettant aux étudiants d’évoquer les points clé de l’extrait, tout en restant dans leurs moyens lexico-grammaticaux, comme, par exemple, la question 15 qui apparaît dans les deux enregistrements: Brossez le portrait moral du jeune professeur en partant des phrases suivantes : « …je n’avais jamais osé regarder personne en face. » «J’étais à l’âge où on sait le moins parler à des enfants. » La réflexion sur cette question projette les futurs enseignants de langues dans leur avenir peu lointain, en les faisant réfléchir sur un comportement modèle d’un professeur débutant. De même, l’enseignant s’inspire, dans les deux cas, de faire développer des réponses à la question 12: Peut-on juger de l’efficacité des méthodes appliquées par le jeune professeur à partir de la description de l’ambiance qui régnait en classe lors de la première leçon ? Ce travail lui permet de réunir plusieurs aspects: langagier (vocabulaire et syntaxe), psychologique et - en partie - méthodologique, ce qui est sans doute profitable à ses étudiants du point de vue de leur avenir professionnel. Après avoir vécu son expérience unique avec le premier groupe, l’enseignant retravaille avec le second d’une manière plus « intelligente »: cette fois-ci, il omet consciencieusement la question 9 reprenant partiellement la 8: Dans quelle intention le jeune professeur a-t-il demandé qui était le premier en dessin ? Il exclut également du second polylogue la question 13 (Par quoi peut-on expliquer la modification de la conduite des enfants à partir de leur première apparition jusqu’à la fin de la leçon ?), l’ayant trouvé trop compliquée pour ses étudiants de deuxième année du point de vue de l’expression. Quant à la question 14 (Voyez-vous quelques défauts à la première leçon qu’il a donnée ? Que peut-on lui reprocher ?), c’est l’apprenante protagoniste qui l’a modifiée par mégarde, l’ayant rendue moins équivoque: Voyons quelques défauts à la première leçon qu’il a donnée. Cela sous-entend la présence inévitable d’un nombre de défauts que les étudiants ont juste à repérer. Et la deuxième partie de cette même question est omise par l’apprenante (aussi par mégarde ?) et restituée plus tard par l’enseignant sous une forme un peu modifiée, selon le contexte: Est-ce que cette leçon a été vraiment irréprochable  ? La question finale (N°16: reproduisez quelque extrait du texte (à votre choix) à partir du point de vue d’un des élèves.) n’apparaît dans aucun des deux corpus à cause du manque de temps: son développement prévoit un travail actif et prolongé d’un étudiant face au groupe en position d’observateurs, ce qui ne paraît pas rentable dans le cadre d’un polylogue d’apprentissage.

En même temps, l’enseignant évite systématiquement des questions formulées d’une manière compliquée, afin que l’activité se déroule sans difficultés inutiles. Ainsi, pour la question 6, il ne figure que sa première partie, sur les deux corpus: De quelle façon le jeune professeur a-t-il commencé sa première leçon ?, la deuxième – provenant plutôt de l’ordre philosophique (Quel était le but de ses inventions pédagogiques ?) - est omise.

Les deux corpus ont également en commun une question sur le « vécu » des étudiants: ils sont demandés de s’exprimer sur leur premier professeur/instituteur.

Finalement, nous avons 10 questions du questionnaire de manuel qui se retrouvent dans les deux corpus et une question commune sur le vécu des jeunes locuteurs.

Si nous nous référons sur la classification de C. Carlo, nous dirons que toutes ces « ajustements » permanents de l’enseignant visent le déroulement de la thématique planifiée.

Notes
366.

Voir la note 2 à la page 270.