2. 3. 2. L’organisation du début de la clôture

A la fin de l’activité, l’enseignant invite ses apprenants à s’exprimer sur le contenu général de l’extrait étudié, à donner leurs avis personnels, en leur accordant toute la liberté de jugements et en soufflant en même temps des variantes préliminaires de réponses (votre impression quand même ? s’il vous plaît elle est positive ↑ ou négative ↑?), afin de leur faciliter le traitement de l’input. Les mots votre, vos, vous abondent dans ce tour de parole du professeur, le substantif attitude est vite remplacé par son synonyme impression (plus familier pour les étudiants) – d’abord au singulier et ensuite au pluriel, ce qui souligne la possibilité d’avoir des points de vue différents et nombreux. Remarquons entre parenthèses que le recours aux synonymes est un des procédés pratiqués fréquemment par l’enseignant analysé au long du polylogue. Pour ne pas perdre du temps, l’enseignant indique lui-même une apprenante qui n’a pas encore parlé. Il gère un lien communicatif, en veillant à ce que tous participent à l’activité. La jeune fille n’est pas sûre d’elle, et surtout de ce comment dire. Elle parle bas. Le professeur la soutient constamment, la demande de parler plus haut. Il s’agit toujours des interventions visantl’établissement et la gestion du lien communicatif. Petit à petit, l’étudiante s’en sort, mais le début de sa phrase contient une erreur grammaticale. L’enseignant l’approuve d’abord et - seulement lorsqu’elle est déjà prête à continuer - il redit le passage en question en mettant en relief par l’intonation l’endroit corrigé, suivi toujours par un oui approbatif. L’apprenante exprime son accord avec la rectification par la reprise de la fin du passage corrigé. Et c’est l’enseignant lui-même qui achève la phrase de l’étudiante, en demandant son avis par un n’est-ce pas ? formel. Nous sommes en présence des interventions de l’enseignant explicitement focalisées sur le code. Dans cette situation exolingue asymétrique, il est rarissime qu’un apprenant conteste les paroles de son professeur, dont il ressent en permanence une supériorité linguistique et langagière. Mais notre apprenante décide quand même de placer son propre mot à côté de celui de l’enseignant, pour se valoriser. Celui-ci rectifie un peu sa fin de la phrase, elle la reprend après lui. L’enseignant la soutient énergiquement par son double mhm, mais la jeune fille se tait. Est-elle déconcertée par les interventions du professeur ? Voyons ci-dessous :

458A10 : XXXXXXX <tout bas>
459E   : mhm
460A10 : XXX <tout bas>
461E
  : mhm
462A10 :
le professeur = français ra- raconte euh : = euh : je suis XXXX <tout bas>
463E
  : oui
un peu plus haut↓ ah ? n’est-ce pas ? mhm =
oui votre impre-
464A10 : XXXXXXX <tout bas>
465E
  : ah oui
466A10 : == j’ai = savait = beaucoup = de de nouveau↑
467E   : <INT>ah oui </INT>
468A10 : et : =
469E   : <INT> j’ai su beaucoup de nouveau↑
oui </INT>
470A10 : beaucoup de nouveau
471E   : <INT> sur la : euh : = sur la vie du professeur n’est-ce pas ah ? mhm </INT>µ
472A10 : euh : de son premier leçon
473E   : <INT> de sa </INT>
474A10 : de sa première leçon euh : ==
475E   : mhm mhm
476A10 : == <…>.’

L’enseignant veut aider l’apprenante, en lui posant, cette fois, la question plus concrète et plus intimement liée à son futur métier. On dirait qu’il lui souffle une réponse. L’embrayer on sert ici à réunir l’enseignant et le groupe du point de vue de leurs perceptions du texte. Le professeur appuie intonativement sur l’adjectif utile (une suggestion prosodique). Il est facile de deviner son attitude envers l’extrait. Il aide à sa façon l’apprenante à formuler ses idées, en imposant en partie son point de vue. Son selon vous ? s’avère ainsi dans ce contexte plutôt formel, puisque la question formulée est du type fermé:

477E: est-ce qui e- est-ce que on pense ce texte euh: pouvait être utile pour le:s professeurs pour le professeur débutant↓ = selon vous ? <…>.’

Malgré les efforts de l’enseignant, la jeune fille hésite toujours, et ce premier procède alors par les interventions facilitant le traitement de l’input: il traduit sa question en russe et ensuite la reprend en français, en la reformulant légèrement du point de vue du mode (serait-il à la place de pouvait-il). Cette façon de procéder s’avère efficace: l’apprenante réagit par un oui immédiat qui est repris en écho par l’enseignant.Encouragée, l’étudiante tente de continuer, soutenue par des approbations enthousiastes de l’enseignant. Mais elle a de la peine de se faire comprendre en français, à cause de ses difficultés d’ordre syntaxique. L’enseignant est obligé de remplir immédiatement sa fonction d’évaluateur, en suggérant à la jeune fille de reformuler ses idées. Puisque le but des suggestions est d’amener l’apprenante à trouver une juste réponse et en fin de compte de sauvegarder le déroulement du polylogue, l’enseignant se manifeste ici égalementcomme organisateur. Il s’adresse à l’étudiante d’abord en français et ensuite en russe. Celle-ci lui explique en russe ce qu’elle veut exactement dire. Nous sommes en présence d’ un petit passage dialogique en russe, du type métadiscursif, entre l’enseignant et l’apprenante en difficulté (487E-498A). On dirait que leur langue maternelle commune leur a permis de s’entretenir dans une ambiance plus détendue et plus naturelle que celle d’avant:

486A10: si je viens nouveau = euh: le professeur euh: qu'il = tapait euh: euh: sur sur les ^enfants la première fois
487E: <INT> comment ? moi je n'ai pa:s = compris ah ? votre votre phrase
s'il vous plaît pouvez-vous la répéter ah ? enfin X la faire comme il faut *pajalousta zdélaïté vachou phrasou euh: padabaïouchtchim obrasom kak ana zvoutchit ah ?372* pouvez-vous répéter mhm = ce que vous voulez dire ? mhm = alors↑? </INT>
488A10: ==
489E: <INT> *nou pa rousski skagité tagda snatchiala mhm chto vi khatitïé skazat'? mhm*</INT>
490A10: *zdés’ pakazana XXXXX*
491E: <INT> *tak * </INT>
492A10: *XXXXXX*
493E: <INT> *mhm* </INT>
494A10: *XXXXXXXX*
495E: <INT>*pakazivaïet nédas tat ki vsio gé ?* </INT>
496A10: * XXXXXXXX*
497E: <INT>*kakaïa stséna ? kakié nédastatki kstati ?* </INT>
498A10: *nou↑on bil s nimi otchen’ strok*
499E: *strok* alors ? mhm = mhm
500A10: euh: *inagda on bil group das ni mi XXXXX*373<…>.’

Lorsqu’une entente mutuelle est retrouvée, l’enseignant propose à la jeune fille de redire la même chose en français, en lui fournissant des phrases types et quelques mots clés facilitant la réponse (des questions du type fermé). L’étudiante « épaulée » continue elle-même. L’enseignant l’approuve en reprenant les fins de ses phrases.

Une fois, il fait un bref détour métalinguistique (les interventions explicitement focalisées sur le code):

507E: <INT> grossie:r↓ grossier c'est ça grossier vous connaissez ce mot n'est-ce pas? grossier oui </INT> <…>. ’

Le professeur a ainsi posé deux questions sur le contenu général de l’extrait analysé et a obtenu des réponses plus ou moins exhaustives de la part d’une apprenante. Il l’a secondée scrupuleusement, comme d’habitude, mais c’était finalement la bonne volonté de l’étudiante elle-même de s’exprimer !

Notes
372.

« Faites votre phrase d'une façon appropriée, s'il vous plaît. Comment doit-on dire ? »

373.

« Eh bien, exprimez d'abord en russe ce que vous voulez dire. /.../ On décrit ici…/…/ Bon, ... montrez les défauts, quelle épisode ?.. A propos, quels sont les défauts ? - Eh bien, il était très sévère avec eux. - Sévère ?... - Parfois, il était même brusque avec eux. »