Une bonne partie des injonctions du type métacommunicatif est d’habitude fournie par l’enseignant au début d’une série d’échanges, comme une sorte de règle de jeu donnée une fois pour toutes. Dans notre cas, la consigne étant d’échanger sur des questions du manuel d’après un extrait du texte, l’enseignant trouve approprié de désigner une apprenante censée « diriger » l’activité,376 en ne voulant se réserver que les interventions qui feront rappeler l’injonction de départ; en réalité, il participera activement lui-même à des répartitions de tours de parole et à des manifestations évaluatives.
Au début de notre corpus 1, l’enseignant énonce donc la tâche à remplir.377 Une fois l’activité annoncée, l’enseignant incite ses étudiants à la réaliser, en indiquant lui-même la première personne à lire la question et à y répondre. Celle-ci obéit immédiatement. Sa réponse n’est pas exhaustive, et l’enseignant s’adresse à tout le groupe, en demandant de la compléter:
‘ 7E: <…> donc euh voulez-vous ajoute:r↑ bon quelqu'un peut-être quelqu'un d[ e ] vous a à ajouter quelqu[e] chose ? bon↑?Comme nous le voyons, il débute avec la question adressée à tous à la fois, pour la réorienter immédiatement de sorte qu’elle soit adressée à chacun personnellement. Ensuite, il reprend la partie cruciale de la question en reformulant les mots qui, selon lui, pourraient aider ses apprenants à trouver la réponse. Il va même jusqu’à développer la question, à y rajouter des mots clés (« …qui se prépare pour sa première leçon à l’école ») qui facilitent le traitement de l’input. Il attend toujours la réponse plus complète.
L’enseignant se manifeste ici comme un organisateur assidu: il souhaite activer tout le groupe, de les faire écouter leurs camarades et de faire construire ensemble leur réponse.
C’est souvent l’initiative de l’enseignant d’aborder la question suivante. Il le fait directement ou par l’intermédiaire de sa co-dirigeante A2 qu’il engage par c’est vous mhm, comme s’il veut confirmerson droit d’agir:
‘ 42E: <…> s'il vous plaît Anne allez-^y↑ c'est vous mhm <…>;Ces gestes d’encouragement s’avèrent bénéfiques pour l’agir de l’apprenante: elle s’empare de l’initiative, en essayant de gérer le déroulement du polylogue. On la sent bien dans sa peau au début de l’activité:
‘ 43A2: pourquoi est-il venu au lycée↑ avant l'heure fixée↓? ↑que faisait-il pendant ce temps↓?Elle voudrait continuer ainsi, mais d’une part elle manque d’expérience didactique et surtout langagier, et d’autre part – peut-être justement à cause de ces « manques » -, c’est l’enseignant qui veille de près à un bon déroulement du polylogue:
‘ 168A2: par quoi peut-^on expliquer la modification de la conduite des ^ enfants à partir de leur première apparition jusqu'à la fin de la l[e]çon↓? y voyez-vous le résultat↑ = des ^ efforts du jeune professeur↓?Un autre exemple. Anne-protagoniste renouvelle sa tentative de répondre à la question. L’enseignant l’encourage, en reprenant le début de sa phrase, en corrigeant discrètement la forme de l’énoncé. Finalement, son soutien habile « débloque » l’apprenante, en la motivant de s’exprimer. A un moment donné, elle interrompt presque son professeur, pour continuer:
‘ 221A2: euh: il tremblait si fort: de sa voixL’enseignant s’accroche à l’énoncé de l’apprenante, afin de lui faire développer son idée. Mais elle le perçoit comme une sorte d’insécurité, en pensant qu’elle s’est trompée d’expression et vite, elle se tait:
‘ 228E: il avait tort↑ ? quand↓?Ilnous semble utile de confier plus d’initiative aux apprenants, dans ces situations-ci, car au minimum de risque, la motivation langagière augmente faisant progresser l’apprenant naturellement .
Mais l’enseignant dont le rôle est de veiller au déroulement de la thématique planifiée se sent le responsable principal de l’évolution du polylogue. L’apprenante dominante n’est pas au courant de son plan d’activité et ne possède pas encore de compétences méthodologiques et langagières indispensables. C’est pourquoi c’est lui et non pas elle qui se charge d’approuver chaque phrase de la personne répondant à la question, par ses mhm.
D’autre part, pour l’enseignant, il est parfois le plus important que la personne parle. Il ferme les yeux à certaines erreurs. Par exemple, en consultant au cours de sa réponse les passages du texte étudié, l’apprenante ne fait pas attention à la concordance de temps dont la notion est étrangère aux russophones. Elle dit ceci: il alla et s’enfermait dans sa classe il humait cette odeur d’encre <…> et de craie qui compose <…> son univers e:t <…> il flatta de sa main le tableau noir <…> et le fronton où il inscrira les règles de ce monde clos <…>. On retrouve quatre temps coexister ici d’une façon impossible pour le locuteur français. L’enseignant ne considère pas ces erreurs nuisibles pour l’intercompréhension, en évitant une intervention grammaticalisée risquant d’«alourdir » le dialogue. Pour le début de deuxième année, le sujet de concordance n’est pas encore très familier.
Souvent, l’enseignant a recours aux feed-back du type n’est-ce pas ?,pour s’assurer que ses étudiants le suivent parfaitement:
‘ 178E: tout d'abord↑ tout d'abo:rd↑ enfin quelle était leur peut-être conduite la première ? ah↓? n'est-ce pas↓? si vous voulez = puisque nous nous devons et n- nous pouvons n'est-ce pas↓? euh: enfin faire votre attention à ce: changement à cette modification de la conduite↓ n'est-ce pas ?Page 271.
Page 270.
« /Il/ se trompait souvent... »
« Et de quoi se trompait-il ?.. »