2. 3. 4. L’enseignant comme dirigeant polyvalent et fiable

Tout au début, confronté à un démarrage difficile de l’activité, l’enseignant décide d’entamer la question suivante, en modifiant la façon de procéder, en désignant une sorte de sa « remplaçante » partielle:

11E: euh: vous n'avez euh vous n'avez rien à ajouter ?
alo:rs nous passons euh: enfin à la question suivante
et je crois que nous euh nous faisons de la manière suivante ça veut dire euh euh: l'un d[e] vous euh: va poser ah?n'est-ce pas? les questions qui suivent hum? il va choisir ah? n'est-ce pas? la personne à qui /e:/ elles s'adressent↓ n'est-ce pas? euh: et enfin euh elle va peut-être ajoute:r quelque chose enfin compléter si vous voulez↓ n'est-ce pas?
d'accord bon qui va: qui va le faire ? hum?
Anne, s'il vous plaît<…>.’

En voyant que la consigne n’est pas bien comprise par celle-ci, le professeur procède par une reformulation simplifiée (facilitation du traitement de l’input):

13E: ouiça va↓ mais vous n'avez pas compris ma question ah? n'est-ce pas? ça veut dire↓ c'est vous = vous allez poser la question deux ou trois questions n'est-ce pas? euh: et vous allez choisir la personne à qui vous vous adressez↓ n'est-ce pas?
alors s'il vous plaît <…>.’

Toutefois, l’apprenante protagoniste ne saisit qu’une partie de ce qu’elle a à faire: elle lit la question et hésite ensuite. L’enseignant est obligé d’insister: alors demandez !, et c’est une autre jeune fille ayant compris la consigne qui se propose comme volontaire de répondre. L’étudiante protagoniste réalise, à son tour, ce que l’enseignant voulait d’elle et accepte que l’apprenante volontaire réponde. Mais l’enseignant qui – suite à cette brève hésitation de la jeune fille protagoniste - a pris momentanément la direction entre ses mains, nomme une autre personne. Celle-ci se montre indécise, il accepte l’intervention de la volontaire. Mais celle qu’il avait désignée, devance sa camarade. Nous observons un instant deux directions parallèles du polylogue: celle assurée par l’apprenante protagoniste A2 et celle menée par l’enseignant E (Annexe 5, inter. 1, 13E-24E; A=apprenante, E=enseignant):

EA2 ↔ A3
A4. ’

Comme nous le voyons, l’apprenante finit par accepter l’incitation de son enseignant à s’exprimer. Il dirige réellement ce polylogue.

Tirons une petite conclusion: les étudiants sont en difficulté de comprendre les ordres et les demandes leur étant adressés si ceux-ci visent à réorganiser l’activité ou à y modifier quelque élément. Ils procèdent suivant le modèle leur étant expliqué préalablement. Il s’avère que le métalangage – même non compliqué - est plus difficile à comprendre qu’une simple question – même reformulée - sur le contenu .

L’apprenante A4 se met donc à exposer sa réponse, mais l’enseignant l’interrompt vite par sa correction: selon lui, le verbe commencer doit être de préférence suivi de la préposition à devant l’infinitif. La jeune fille reprend néanmoins la partie concernée de la phrase, en employant la préposition de, par inertie. Mais l’enseignant insiste et elle prononce une variante souhaitée, tout de suite approuvée par l’enseignant. Dans cet épisode, l’enseignant remplit deux fonctions à la fois – celle d’évaluateur et d’informateur, ce qui s’avère assez courant pour ce polylogue et celui du même type réalisé dans le groupe parallèle. Puisque les étudiants de deuxième année ont vivement besoin d’être non pas seulement corrigés mais aussi informés par leur enseignant sur les phénomènes linguistiques et langagiers du FLE étudié dans un milieu hétéroglotte .

D’autre part, en ce qui concerne l’autocorrection, les étudiants du groupe analysé s’en sont déjà montrés capables, y compris celle que nous désignons comme A4 que l’enseignant avait interrompue plusieurs fois pour l’inciter à se corriger:

4A1: <…> euh le matin personne euh ne n'était là↑ pour s- le presser personne ne lui disait allons↑ dépêche-toi↑ tu vas en retard↓ = tu vas être en retard <…>;
23A4: le matin euh le jeune professeur = gm = euh: il se levait il s'est levé à huit ^heures <…>.’

Cela permet d’avancer la thèse que les apprenants du groupe en question sont munis des bases de savoirs et savoir-faire indispensables pour parler correctement, dans des limites de leur niveau d’apprentissage.

Ensuite, l’enseignant se focalise explicitement sur le code, ce qu’il est obligé de faire fréquemment, compte tenu du niveau de ses apprenants et de leurs lacunes lexico-grammaticales. Lorsque le professeur n’est pas d’accord sur le choix du verbe dans l’expression il a pensé quelques minutes, il donne son équivalent russe, pour que l’apprenante trouve elle-même le synonyme convenable à l’idée de son énoncé. L’enseignant n’a qu’à réajuster la forme grammaticale de la troisième personne du singulier de l’imparfait du verbe réfléchir. Et il attire l’attention de l’intervenante et du groupe entier par son n’est-ce pas ? qui peut être qualifié d’une question métalangagière et rhétorique en même temps, puisque tout de suite il lance bon plus loin sans attendre vraiment de réponse:

36E   : <INT> ah c[e n]’est pas tout à fait penser mais peut-être comment ?*razmichlial neskal’ka minout*</INT>
37A4: ah! réfléchi
38E   : <INT> réfléchi↓= ssait réfléchissait↓ n’est-ce pas?
mhm = bon plus loin </INT><…>.’

Son bon plus loin sert, d’une part, à évaluer la réponse et d’autre part, à faire avancer le polylogue sans perdre une seconde, de l’organiser d’une façon optimale.

C’est l’enseignant qui suit le plus fidèlement la parole de ses apprenants. Mais il s’efforce aussi de les impliquer dans une perception active des échanges. L’apprenante A4 ayant à peine fini son intervention, l’enseignant incite l’apprenante dominante A2 à l’évaluer. La réaction de cette dernière s’avérant très laconique, l’enseignant continue à insister auprès d’elle, en lui donnant ses instructions: il la pousse de devenir une réelle dirigeante du polylogue. Ses interventions visent l’établissement et la gestion du lien communicatif. Puisque la jeune fille reste passive, il est finalement obligé de reprendre tous les pouvoirs entre ses mains et d’accorder la parole à une apprenante volontaire qui avait au départ l’intention de se prononcer sur cette question. Mais, apparemment, l’apprenante n’a rien à ajouter. L’enseignant redonne ses pouvoirs à Anne-protagoniste:

39A4: = puis il a = il est arrivé au lycée à sept heures et demie
40E: mhm eh bien Anne↑ c'est juste ?
41A2: oui c'est ça
42E: c'est ça ?
euh: et vous pouvez demander les personnes qui vont ajouter ah? qui vont compléter:
bon Marie vous pouvez a a: compléter la: cette réponse la réponse on vous ^écoute bon↑ hum↑? bon↑
s’il vous plaît Anne allez-y↑ c’est vous = mhm’

L’enseignant remplit ici sa fonction d’organisateur des échanges par l’intermédiaire d’un métadiscours-instruction. Son but est de stimuler la participation de ses apprenants, de rompre la passivité du groupe.