2. 3. 6. Organisation locale des échanges

Le type de sollicitation préféré de l’enseignant varie, comme le remarque L. Dabène, selon les cultures et les méthodologies. Cela peut être, par exemple, une demande de répéter, de faire/refaire, de corriger, de répondre à un autre étudiant, etc. Voyons un exemple de notre corpus 1 (A2, A4 = apprenants ; E = enseignant, G = groupe):

126A2: peut-on juger de l'efficacité des méthodes = appliquées par le jeune professeur à partir de la description de l'ambiance qui régnait en classe lors de la première l[e]çon ?
127E: mhm = eh bien qui veut↑ euh: répondre à la question↓
bon qui est-ce↑ ?
s'il vous plaît↑
mesd[e]moiselles↑ monsieur↑
128G: ==
129E: qui n'a pas encore = participé↑ ? mhm
peut-on juger de l'efficacité de XX euh de l'efficacité des méthodes appliquées par le jeune professeur à partir de la description de l'ambiance qui régnait en classe lors de la première l[ e ]çon ?

Une demande de répondre à la question formulée par une autre étudiante.
Une triple incitation à la parole (du concret au général).
Une sollicitation adressée à tout le groupe.
Une reprise de la question initiale traduisant une incitation implicite à se prononcer.

Face à un silence persistant du groupe, l’enseignant a décidé de répéter la question, en l’accompagnant des incitations sous forme d’une paire de questions paraphrastiques suivies d’une troisième question proposant une réponse camouflée (129E).Les interventions de l’enseignant - ici et ci-dessous- visent la facilitation du traitement de l’input. Il essaie de motiver les apprenants en s’adressant à leurs fors intérieurs: alors selon vous ↓ s'il vous plaît↓ = ou qu'en ↑pensez- vous ↓? Il remplit à lui seul la fonction d’organisateur du déroulement du polylogue. Le groupe ne réagissant toujours pas, l’enseignant choisit la tactique de faire avancer par étapes, en découpant la question initiale en plusieurs sous-questions. Sa première question peut tout de suite servir de base pour une réponse éventuelle:

131E: ou l'ambian- mais l'ambiance↓ quelle était l'ambiance ?
est-ce que: cette ambiance était tout ^à fait mauvaise↑ pour le professeur pour le nouveau professeur↑ ? <…>.’

L’enseignant a insisté plusieurs fois sur les mots clé ambiance et professeur, en appuyant intonativement sur le mot mauvaise.

N’ayant toujours aucun retour, il décide d’alterner les deux langues – le français et le russe, en finissant par reposer la même question sur l’ambiance en français. Il est intéressant de voir que le mot ambiance est vite remplacé par la notion plus simple de sentiments – en fonction de la perception des étudiants – qui sera, à son tour, rapidement suivie d’une question directement impliquant chaque participant du dialogue, puisque l’enseignant demande ce qu’ils en pensent, quelles sont leurs propres impressions. D’après Ch. Arnaud, l’affectivité « …est à la fois un processus dynamique, capable de favoriser ou d’entraver la connaissance et un état, une réponse, qui nous fait rougir, bégayer, rire aux éclats ou bâiller. »381L’enseignant vise le vécu des apprenants, en touchant un niveau de leurs émotions et par conséquent en pensant améliorer un lien communicatif:

133E: *ana déïstvitél'na bilavajnaïa èta atmasphéra katoraïa évo akroujala* qui régnait dans la classe↑ ? = ou non↓ ? = ou: par contre elle était tout à fait bienveillante pour lui↓ ? = *ili skaïé dabragélatél'na naverna paka↓ ?ili net↑ ? ili gé moget bit'↑ ?vot toïést' kakié zdés'*382<il toussote> ah quels sont les sentiments↑? ah↑? n'est-ce pas↑? euh qui régnaient en classe↓? quelle était l'ambiance↓?
134G: ==
135E: *kak bi vi virazili té tchoustva outchénikof katorié tsarili hm f klassé↓ ? = vachi fpétchatniïa↓ ?*383 alors vos ^impressions↓ ? ah↑
s'il vous plaît Olga <…>.’

Nous observons donc le passage d’un terme plus neutre, même un peu savant, celui d’ambiance, alterné avec celui de sentiments, vers des perceptions personnels des étudiants, leurs impressions.

Chaque fois, l’enseignant présente sa question en russe, en la résumant en français, dans le but de faciliter le traitement de l’input.

136A4: === les ^élèves
137E: <INT>mhm manifestaient *praïav lia li* manifestaient ↑quels sentiments↓ ?
</INT>
138A4: manifestaient euh: l'intérêt
139E: <INT>l'intérêt </INT>
140A4:
à son = nouveau professeur
141E: <INT>oui l’intérêt à son à : à leur nouveau
142A4: à leur nouveau professeur
143E: <INT> à leur nouveau professeur
encore↑ ? </INT>
144A4: <elle toussote deux fois>
145E: <INT> * oudiv nié naverna bila chta néagidannié no vié tadi tak↑?* </INT>
146A4: l'inquiétude
l'inquiétude
147E:
<INT>oh c[e n’]est pas l’inquiétude
l’inquiétude c’est quoi↑ ? =
148A4: * tré vo ga*
149E: *tré vo ga bespa koï stva skaïé
razvé trévoga zdés’ chtchoustvavalas’↑ ?* 384
n’est-ce pas↑ ? </INT>
150A4: l'étonn[ e ]ment
151E: <INT> l'étonn[e]ment </INT>
152A4: l'étonn[e]ment <tout bas>
153E: <INT> la surprise même n’est-ce pas↑? la surprise l'étonn[e]ment mhm
puisqu’ils ^ont été tellement surpris ah↑? par la conduite du jeune professeur mhm </INT>

∙Une demande de terminer la phrase commencée par l’enseignant.
∙Une approbation par reprise.
∙Une confirmation par reprise et une délicate correction à la fois.
∙Une approbation et une demande explicite de compéter la réponse.
∙La question mettant l’apprenante sur la piste de la réponse.
∙Le rejet de la variante de réponse et la demande de se repréciser le sens du terme.
∙La remise en doute du terme choisi par l’apprenante.
∙La confirmation.
∙La reprécision du terme par l’enseignant lui-même.

Cette fois-ci, l’enseignant a emprunté la voie des questions pour obtenir le résultat. Le plus souvent, selon nos observations, l’enseignant a procédé exclusivement par des questions. C’est la façon la plus courante de solliciter la parole orale et écrite chez les apprenants russes: une direction explicite du polylogue. La plupart des échanges se font donc selon le schéma « question-réponse ».

Le courage de l’enseignant de persévérer dans la progression du polylogue est digne d’admiration, comme dans l’exemple ci-dessous:

251E: peut-être↓ = ou non ?
s'il vous plaît votre quand même impression ? mhm = je l[e] demande = alors ? <…>.’

Il propose à l’apprenante deux variantes de réponse, en insistant intonativement surl’adjectif possessif votre, comme s’il souhaitait l’impliquer personnellement dans l’échange des points de vue et non pas comme étudiante. Il se montre persistant en explicitant son souhait avec de plus en plus d’insistance: s 'il vous plaît - votre première impression ?- mhm = - je l[e] demande = - alors ? .

Notes
381.

ARNAUD Ch.,« Mieux gérer l’affectivité…», op. cité, p.27.

382.

La traduction du russe: « Cette ambiance autour de lui, n’était-elle pas en effet très bonne ?.. Ou peut-être était-elle plutôt bienveillante en attendant ? Ou bien peut-être... ? C'est-à-dire quels sont ici... »

383.

« Comment auriez-vous exprimé des sentiments qui régnaient en classe ? Quelles sont vos impressions là-dessus ? »

384.

« Ne serait-ce plutôt une surprise à cause de nouvelles méthodes appliquées ?.. Bon... /On dirait/ l'angoisse, l'inquiétude.Est-ce qu'on ressentait de l'angoisse ?.. »