2. 3. 7. La direction de la co-construction des réponses

Nous avons vu que, souvent, une réponse attendue n’a été obtenue qu’à la suite de plusieurs interventions du professeur et des étudiants. Ce fait est encore plus évident lorsqu’il s’agit des échanges spontanés, sans support (comme c’est le cas dans la partie de notre corpus 1 consacrée aux enseignants préférés des apprenants). Ainsi, un énoncé s’est presque toujours construit par plusieurs apprenants et avec une participation active de l’enseignant. Chacun y a apporté sa contribution. Il ne s’agit donc pas de la structure simple « question – réponse ». En voici un exemple:

249E: <…> et au reste↑? = enfin = au reste↑ = ça va c'est tout ^à fait normal↓ ah↑? c'est sans défauts↓
250A7: mhm
251E: peut-être↓ = ou non ?
s'il vous plaît votre quand même première impression ? mhm = je l[e] demande = alors ?
252A7: XXX
253E: oui XX alors c'est ça↑? = vous ^êtes d'accord↑?
254G: ==
255E: *to iest' v dannam sloutchaïé vot i mojna skasat' chto vot takoï a:: no éta vét' né safsém naverna achipka mogét bit' fsiotaki*385
alors s'il vous plaît
256A: j[e]pense qu'il était euh: = *stroguiï*
257Ax: <INT>X </INT>
258E: <INT> sévère </INT>
259A: il était euh:
260E: <INT> trop sévère↑? </INT>
261A: trop sévère le premier jour
262E: <INT> le premier jour↓ ah↑ ? c'est↑ ça veut dire il pourrait réagir euh: de manière plus douce = *boléé miakhka = moget bit' vesti da↑?* </INT>
263A7: * boléé miakhka* <tout bas, en écho>
264E: <INT> *né tak stroga otchén' stroga* voilà merci</INT>
la question suivante <…>.’

Ici, nous observons une incitation « massive » de la part de l’enseignant de s’exprimer sur le sujet. Ensemble avec ses apprenants, il a finalement obtenu le résultat souhaité.

De brefs extraits de corpus font apparaître la répartition des fonctions langagières entre le professeur et les étudiants. Alors que la tâche des apprenants, à ce niveau, est de reproduire le contenu du texte – avec leurs propres termes certes –, celle de l’enseignant est d’organiser le déroulement de cette reconstitution. Il intervient pour inciter les étudiants à parler, pour attirer leur attention sur les constructions incorrectes, pour les encourager, etc. Les fonctions du domaine de la Métacommunication sont prépondérantes chez le professeur. Nous constatons que ce dernier se focalise fréquemment explicitement sur le code et fait recours aux interventions visant la facilitation du traitement de l’input. Les interventions métacommunicatives peuvent être repérées aussi bien chez les apprenants, en particulier chez l’étudiante protagoniste. Un petit malentendu survenant tout au début du polylogue entre l’enseignant et la jeune fille protagoniste provient d’une perception inadéquate par celle-ci de l’instruction de ce premier. Elle voit son enseignant insatisfait et suppose qu’elle doit répondre elle-même à la question posée. Elle énonce un commentaire métadiscursif à ce propos, avec un débit accéléré – comme si elle ne parlait qu’à elle-même. Mais en fait, l’explicitation de la consigne à haute voix signale que l’apprenante a besoin de confirmation de la part de l’enseignant. Elle répond ensuite comme elle le sent à la question du manuel. L’enseignant préfère la laisser parler, l’approuve même, en visant essentiellement le déroulement d’une thématique planifiée. Seulement lorsqu’il constate que la réponse est trop imprécise, l’enseignant la réadresse au groupe:

66E: <…> mhm Anne↑ = posez la question↑ = ↑à qui↓?
67A2: de quelle façon↑ le jeune
68E: oui↓ c'est ça donc
69A2: ah comme d’habitude XXXXXXXX <avec un débit accéléré>
70E: alors voilà↑
71A2: il les regardait lent[e]ment↑ leurs petites #âmes étaient encore pleines de sable des plages et de: l'odeur de men- de ma- de menthe des montagnes ===
72E: mhm == eh bien↑ peut-être il y a des personnes↑ qui vont ^ajouter↑ = quelqu[e] chose↑? <…>.’

Parfois, malgré tous les efforts de l’enseignant, même malgré ses recours aux interventions facilitant le traitement de l’input, sa question peut rester sans réponse:

129E: <…> peut-on juger de l'efficacité de XX euh de l'efficacité des méthodes appliquées par le jeune professeur à partir de la description de l'ambiance qui régnait en classe lors de la première l[e]çon ?
alors selon vous↓ s'il vous plaît↓ = ou qu'en ↑pensez-vous↓ ? == c'est c'est vraiment efficace↑?
130G: ===
131E: ou l'ambian- mais l'ambiance↓ quelle était l'ambiance ?
est-ce que: cette ambiance était tout ^à fait mauvaise↑ pour le professeur pour le nouveau professeur↑ ?
132G: = <…>.’

Par ailleurs, les apprenants guidés par les questions (du manuel ou du professeur) sont tenus de respecter une certaine suite dans leurs productions, planifiée préalablement par l’enseignant. Une étudiante choisie par l’enseignant, lit à haute voix les questions du manuel (une par une) et propose à quelqu’un d’y répondre, s’il n’y a pas de volontaires qui se manifestent immédiatement. A notre avis, ces « volontaires » ont plus ou moins préparé leurs réponses à la maison, puisqu’ils ont tendance de reprendre, dans la plupart des cas, les phrases du texte. En fait, le but a été de s’orienter parfaitement dans le contenu, maîtriser le lexique, les constructions grammaticales propres à ce texte, etc. Dans ce sens, c’est donc plutôt la fonction pseudo-communicative qui a prédominé.

En visant à établir un vrai lien communicatif, au moins vers la fin de l’activité, l’enseignant a invité ses étudiants à produire une parole spontanée, en s’appuyant sur leur vécu et le contenu du texte étudié, en même temps. Ceci s’est avéré plus compliqué, quasiment personne ne souhaitait s’exprimer par peur de commettre une erreur . L’enseignant a enfin accordé la parole à une jeune fille volontaire, en la soutenant par tous ses moyens (feed-back, intonation, reprise de ses paroles, sourire):

294E: <…> euh: donc = euh : s'il vous plaît puisque quand même nous z- nous ^avons fini n'est-ce pas↑ ah↑? à disc- enfin à parler de ces: au sujet de ces questions-là↑ s'il vous plaît↓ quand même↓ discutons un peu euh: ce problème↓ = euh: est-ce que vous: vous vous rappelez votre premier professeur ah↑? de: professeur enfin à l'école peut-être professeur de français si vous voulez
s'il vous plaît Olga mhm qu'est-ce que vous v- voulez dire↑?
295A4: je pouvais euh: es:-
296E: <INT> oui vous voulez dire mhm </INT>
297A4: == elle était = très = furieux
298E: oui
furieux↑? oui bon
299A4: euh:
300E:<INT> ↑il était↓ ou ↑elle était↓? </INT>
301A4: elle
302E   : <INT> elle était furieuse alors </INT>
303A4: furieuse
304E   : <INT> voilà <il sourit> </INT>
305A4: elle:
306E   : <INT> elle↑ </INT>
307A4: criait beaucoup
308E   : <INT> oui elle criait beaucoup </INT> <…>.’

Nous voyons ici que, malgré le risque de « briser » un lien communicatif fragile à peine instauré, l’enseignant se sent dans l’obligation, dans le cadre du contrat didactique, de se focaliser explicitement sur le code.

Le rôle de l’enseignant comme organisateur n’est pas facile face à une passivité non-négligeable du groupe.Il est très présent lors du polylogue, en restant son dirigent irremplaçable. Souvent, il intervient juste pour témoigner son appui à ce qui est dit, ou pour faire une légère pression sur un des participants, comme nous l’avons vu ci-dessus. Les apprenants le sentent toujours « derrière » eux. Il voit, de son côté, que ses étudiants ont besoin de son soutien, puisque le fait même d’être enregistrés – un événement peu anodin - est un stress pour eux. On dirait qu’ils se trouvent sous une quadruple pression: celle de l’idée d’être enregistrés, celle de l’autorité de l’enseignant, celle des regards critiques de leurs camarades de groupe et celle d’un effort permanent d’être « à niveau » par rapport à des spécialistes inconnues qui analyseront leurs enregistrements dans leurs buts à eux. Il n’est pas évident, dans ces circonstances, même pour des locuteurs compétents, de préserver « une authenticité de la parole ». L’enseignant s’en rend parfaitement compte, d’où son comportement « protecteur ».

Notes
385.

« C'est-à-dire, dans ce cas-ci, on pourrait dire que ce... euh... mais peut-être ne serait-ce pas vraiment une faute ? »