2. 3. 10. Le mariage du contenu du texte et du vécu personnel. Le jonglage entre la question personnellement adressée et le maintien de l’attention du groupe

Les étudiants ne voulant pas parler de leurs professeurs à eux, l’enseignant tient à préserver le naturel didactique des échanges: il revient sur le sujet du texte examiné, de sorte qu’ils doivent toujours donner leurs avis sur le comportement du professeur débutant:

425E: et ↑enfin↓ ↑selon vous↓ voilà↓ ces↑ premiers↓ pas du jeune professeur euh: est-ce que vous ^approuvez = est-ce que vous les ^approuvez ? *a vot vi adabriaïété éti pervié chagui ?* est-ce que vous ^approuvez les premiers pas de ce jeune professeur ? ou bien quand même euh: vous euh: vous êtes pf enfin peut-être pff euh: vous vous pouvez: proposer d'autres façons de: commencer sa première leçon ?
s'il vous plaît↓ Vladislav↓ hum ? prenez la parole = selon vous alors ? <…>.’

L’enseignant réunit ici deux fonctions - celle d’organisateur est soutenue par celle d’informateur: il reformule en russe sa question énoncée en français d’une façon « brouillon » (la facilitation du traitement de l’input), pour ensuite la reposer « comme il faut » en français. Nous pouvons y observer la construction progressive de la parole de l’enseignant. Il étaye sa question jusqu’à la rendre accessible à chaque étudiant du groupe et de faire tous participer au dialogue. L’enseignant va plus loin – il formule une question enfermant une réponse alternative, qui semble prévoir une expression libre, basée sur son propre vécu. Mais d’après la construction de la question, il est évident que l’enseignant privilégie la seconde variante. Il repose le même type de question à l’étudiant qu’il désigne comme répondant:

426A9: ==
427E: mhm = vous ^approuvez ou bien vous proposez d'autres variantes ?
s'il vous plaît <…>.’

Le jeune homme choisit la première variante étant plus laconique et plus simple que la seconde, mais c’est l’enseignant qui est obligé de lui fournir des mots indispensables et de finir sa phrase, que l’apprenant répète en écho, en respectant la dissymétrie des relations enseignant/apprenant:

428A9: oui j'approuve
429E: <INT>oui </INT>
430A9: ses: = ses: == ses: =
431E: <INT> ses ^actions </INT>
432A9: ses ^actions
433E: <INT> ces ^actions ces ^actes du: jeune professeur
voilà mhm </INT> <…>.’

L’apprenantessaie d’expliquer son choix de variante. Mais l’enseignant le fait précipitamment à sa place, en proposant à l’étudiant de relever le défi encore une fois et de réfléchir sur la seconde variante, en insistant sur les mots votre et personnel, c’est-à-dire en s’adressant à Moi du jeune homme, différent de celui de l’enseignant. Mais l’étudiant reste silencieux. A notre avis, il se sent sa langue liée à cause des manques de pratiques conversationnelles, à un vrai sens du terme. L’enseignant réadresse donc la question à l’ensemble du groupe, de sorte que le polylogue n’ait pas le temps de déraper. Une personne réagit et à trois – une nouvelle intervenante, le même étudiant et l’enseignant – ils réussissent à formuler une idée sur le sujet:

439E: <…> bon qui va quand même le faire ?
440A: quant ^aux ^enfants↑ je pense = qu'ils: = qu'ils doivent être plus doux
441E: oui qu'ils qu'ils doivent être plus = doux doux ah les enfants oui plus doux à l'égard du prof du professeur pourquoi ? plus doux ah ?
442A: XXXXXXXXX
443E: ah alors l'attitude du professeur doit ^être plus douce ah ? n'est-ce pas ? envers euh: les ^enfants ah? d'accord <…>.’

Le but de l’enseignant est d’impliquer le maximum de participants au polylogue, mais cette tâche s’avère difficilement réalisable, à cause de la passivité de l’ensemble du groupe due en partie aux difficultés de l’ordre lexico-grammatical. La jeune fille que l’enseignant a désignée au hasard, est coincée à des niveaux lexical et grammatical à la fois. Elle a recours à l’aide du professeur qui reformule certaines parties de ses phrases sur-le-champ. Les phénomènes de grammaire – tels que le subjonctif, par exemple - qui sont compliqués pour ce niveau d’apprentissage, sont présentés par l’enseignant sous forme de lexique (453E); des maladresses lexicales sont rectifiées discrètement (on dirait qu’il en demande l’avis de l’étudiante: l'estiment davantage peut-être mieux ):

445E: mhm s'il vous plaît XXX
alors mad[e]moiselle↑
446A3: <elle toussote> je croi:s en première leçon↑ euh: il faut = parler de == de de moi
447E: <INT> il faut↑ </INT>
448A3: de lui *a sékak skasat' a sé 400 ?*
449E: <INT> bon a- alors le professeur doit↑ parler↑ de lui-même↓ </INT>
450A3: ah de lui-même
451E: <INT> voilà mhm = d'accord </INT>
452A3: pour pour les ^enfants↑ euh:
453E: <INT> pour que les ^enfants↑ que les ^enfants↑</INT>
454A3: pour que les ^enfants↑ l'estiment beaucoup↓
455E: <INT> oui pour que les euh les ^élèves l'estiment beaucoup↓ oui mhm n'est-ce pas ? l'estiment davantage↓ euh ? l'estiment davantage peut-être mieux </INT>
mhm merci↑ <…>. ’

L’enseignant persévère, en souhaitant entendre ceux qui sont restés à l’écart, mais le groupe répond par un silence, et il est obligé de se soumettre à la réalité:

455E: <…> en plus ?
456G: ==
457E: c'est tout d'accord merci mhm merci <…>.’

Le bon sens dit à l’enseignant que puisqu’il ne réussit pas à activer ses apprenants davantage, il est le temps d’organiser une clôture correcte du polylogue. Cette dernière s’est avérée finalement longue. Nous l’avons examiné en détail ci-dessus.

Notes
400.

«Comment dit-on «parler de soi-même» ?»