L’enseignant se trouve dans une situation inégalitaire face à ses apprenants. Ce fait, selon L. Dabène et F. Cicurel, 401 rend inévitable, de sa part, le recours à des conduites pédagogiques plus directement incitatrices. Nous l’avons bien observé à travers notre analyse. De plus, l’enseignant a généralement affaire à un public dont le choix de la langue n’a pas été forcément volontaire402 et qui est soumis au poids des consignes de l’université pédagogique.
C’est pourquoi, comme nous l’avons constaté ci-dessus, l’enseignant a consacré plus d’une moitié de son temps à sa fonction d’organisateur, notamment 14’21’’, ou 56,91%.403
Les interventions de l’enseignant organisateur visent tantôt le déroulement de la thématique planifiée, tantôt la gestion du lien communicatif; souvent elles servent à faciliter le traitement de l’input ou se focalisent explicitement sur le code. Nous dirions même que, dans notre cas, il est plus approprié de parler des manifestations de l’enseignant, puisque la même intervention de ce dernier peut réunir des manifestations diverses déterminées d’après la classification de C. Carlo. Quelques fois, nous avons eu de la peine de classer des manifestations organisatrices de l’enseignant selon C. Carlo. Néanmoins, le tableau ci-dessous en présente un bilan sommaire:
Types de manifestations de l’enseignant organisateur |
Nombre de manifestations, et en % | Manifestation la plus courte-la plus longue | Temps général réservé à chaque type de manifestations, et en % |
visant le déroulement de la thématique planifiée |
35 = 28 % |
1’’-32’’ |
3’26’’ = 24,5 % |
visant la facilitation du traitement de l’input | 20 = 16 % | 2’’-1’01’’ | 4’44’’ = 33’8 % |
visant l’établissement et la gestion du lien communicatif |
51 = 41 % |
1’’-38’’ |
4’36’’= 32,8 % |
explicitement focalisées sur le code | 18 = 15 % | 1’’-29’’ | 1’15’’ = 8,9 % |
124 = 100 % | 14’01’’ = 100 % |
Il est facile de constater que l’enseignant organisateur s’intéresse très fréquemment à la gestion du lien communicatif (selon le nombre des manifestations de ce type), en pensant impliquer par ce moyen tous et chacun dans l’activité; quoique le temps réservé au traitement de l’input s’avère légèrement plus important, ce qui s’explique logiquement par l’étendue de chaque manifestation du deuxième type. Fréquentes – et souvent brèves (1’) - sont aussi les manifestations du professeur visant le déroulement de la thématique planifiée: il essaie de mettre au point tout ce qui a été prévu pour une période du temps concret; c’est pourquoi il met une certaine pression sur ses apprenants, en les faisant intervenir ou ajouter quelque chose, etc. Le plus de temps – mais un nombre de manifestations modeste - est accordé par l’enseignant organisateur aux opérations visant la facilitation du traitement de l’input. Celui-ci « déchiffre » souvent à ses apprenants – en français ou en russe - les questions du questionnaire ou des consignes intermédiaires, afin que le polylogue progresse. Le moins fréquentes et prenant le moins de temps sont les manifestations de l’enseignant organisateur explicitement focalisées sur le code. Cela s’explique par le fait que les apprenants s’appuient généralement dans leurs réponses sur les phrases de l’extrait du manuel préalablement étudié à la maison et qu’ils consultent au cours du travail.
Nous avons observé que les manifestations de l’enseignant organisateur visant le déroulement de la thématique planifiée, la gestion du lien communicatif ou celles explicitement focalisées sur le code, peuvent être très brèves – vers 1’’. Tandis que ses manifestations visant la facilitation du traitement de l’input ont la durée minimale de 2’’. Parmi ce dernier type de manifestations, nous avons repéré une interaction de l’enseignant la plus étendue de tout le polylogue: sa durée est de 1’ 01’’ (196E); c’est un record absolu. Dans d’autres types de manifestations, les plus longues s’élèvent seulement à 29’’ (explicitement focalisées sur le code), à 32’’ (visant le déroulement de la thématique planifiée) ou à 38’’ (centrées sur l’établissement et la gestion du lien communicatif). Cette intervention la plus étendue consacrée à la facilitation du traitement de l’input inclut la citation d’un passage de l’extrait étudié et son commentaire par le professeur.
Mais malgré tous ses efforts organisationnels, le groupe reste assez passif. Seuls quelques rares apprenants s’impliquent plus ou moins dans le dialogue. Et la cause principale de cette passivité est sans doute un manque chez les étudiants analysés de moyens appropriés d’exprimer ce qu’ils pensent réellement. Ils restent ainsi trop attachés aux phrases et constructions de l’extrait examiné. Leurs lacunes sont surtout importantes au niveau du vocabulaire. D’où des recours fréquents à la langue maternelle de la part des étudiants et de l’enseignant.
Voir: DABÈNE L., CICUREL F. et al., Variations et rituels…, op. cité, p.p.9-10.
Revoir les pages 125-127.
Voir le tableau à la page 284.