2. 4. 1. Organisation locale du troisième temps d’échanges

La fonction d’évaluateur se manifeste dans notre corpus par:

  • des opérations appréciatives, concernant les productions. On peut y distinguer les jugements métacommunicatifs, portant sur la correction des énoncés des apprenants (une focalisation explicite sur le code) et les jugements évaluant le contenu thématique de ces mêmes énoncés (une centration sur le déroulement de la thématique planifiée). En français, on distingue ainsi « bien » de « d’accord »,405 etc. Mais « notre » enseignant russophone ne tient pas spécialement à mettre en relief cette distinction, en employant souvent bien et d’accord côte à côte. De plus, il a l’habitude d’employer le phatique mhm à la place de toute sorte d’appréciation. Suivant son intonation et des accompagnements non-verbaux, ce mhm peut avoir plusieurs significations. Exemples:
79A7: euh: === les ^é- les ^élèves euh: == pour la première fois ils: considéraient leur nouveau professeur avec attention
80E: mhm
81A7 : ils: ils reconnaissaient le caractère de d'un professeur à sa façon d'ouvrir: d'ouvrir la porte
82E: <INT> mhm = d'accord </INT>;
288E: <…> alors il se croit peut-être comment↓? = hum↑ ? *kakim on siébia chtchitaïet vazmojna?* 406 = mhm
289A2:très jeune
290E: très jeune↓
oui c'est ça il se croit très jeune =
291A: inexpérimenté <tout bas>
292E: inexpérimenté↓
oui voilà inexpérimenté professeur inx- inexpérimenté pour parler = aux ^élèves
mhm encore?
oui juste
ah? s'il vous plaît = mhm
293A2: ==
294E: d'accord c'est bien c'est bien d'accord ah? mhm <…> .

Une approbation et un encouragement – dans les 80E et 82E. Dans le 82E, l’enseignant attend quelques secondes, en espérant que l’étudiante poursuivra son intervention, mais en comprenant que celle-ci a terminé, il l’approuve par un d’accord.
Un encouragement.
Une approbation par reprise, renforcée par une double confirmation oui c’est ça et par la reconstitution de la phrase complète à base de la question et de la réponse de l’apprenante.
Une approbation par reprise, renforcée par des oui et voilà + encore une reprise + reprise du terme au sein d’une expression.
Un encouragement.
Une double approbation.
Un encouragement.
Une approbation reprise cinq fois.
  • des opérations correctives produisant l’énoncé correct destiné à remplacer le discours erroné de l’apprenant. Exemple:
25A4: <…> puis il euh: il a commencé se raser
26E : <INT> commençait à = seraser↓ n’est-ce pas? </INT>
27A4: de se ra-
28E: <INT> à se raser </INT>
29A4: à se raser
30E : <INT> mhm </INT>; ’
  • des opérations visant à attirer l’attention de l’apprenant sur un emploi erroné d’un phénomène linguistique afin de stimuler une autocorrection. Citons ici l’un de très nombreux exemples de ce type dans notre corpus:
297A4: == elle était = très = furieux
298E: oui furieux↑? oui bon
299A4: euh:
300E:<INT> ↑il était↓ ou ↑elle était↓? </INT>
301A4: elle
302E   : <INT> elle était furieuse alors </INT>
303A4: furieuse
304E   : <INT> voilà <il sourit> </INT> <…>;’
  • des opérations indirectes, par exemple, par les reprises par l’enseignant d’un énoncé (ou d’une partie de l’énoncé) correct produit par l’apprenant, signifiant que ce premier l’accepte. Comme dans l’exemple ci-dessous, où la jeune fille commence à répondre sans enthousiasme. L’enseignant l’épaule, lui souffle la suite de la phrase et lui propose une question qui contient déjà des éléments de la réponse. En même temps, il fait une petite correction grammaticale qui est dissimulée sous une forme d’approbation: il reprend la dernière partie de la phrase de l’apprenante, en y modifiant une forme incorrecte. L’apprenante s’avère attentive à cette modification et répète le passage corrigé, ce qui prouve qu’elle est consciente de son erreur et que celle-ci est fortuite:
136A4: === les ^élèves↑
137E: <INT>mhm manifestaient *praïavliali* manifestaient ↑quels sentiments↓? </INT>
138A4: manifestaient euh: l'intérêt
139E: <INT>l'intérêt </INT>
140A4:
à son = nouveau professeur
141E: <INT>oui l’intérêt à son à: à leur nouveau
142A4: à leur nouveau professeur
143E: <INT> à leur nouveau professeur <…>;’
  • des opérations de reformulation (en français et en russe), ce qui améliore le niveau de compréhension mutuelle de l’enseignant et de ses apprenants. L’enseignant demande explicitement à l’une de ses étudiantes de développer sa réponse et lui évoque en russe une suite possible. L’étudiante emploie un terme français qui n’est pas bon. L’enseignant lui fait traduire le sens de ce mot en russe et en donne lui-même plusieurs synonymes russes. La jeune fille énonce enfin un terme juste que le professeur approuve, tout en lui trouvant le synonyme qui est, à son avis, plus réussi. Et il en insiste poliment, pour que son apprenante – et tout le groupe – le retienne bien, afin de pouvoir le réemployer dans leurs interventions ultérieures:
143E: <INT><…> encore↑ ? </INT>
144A4: <elle toussote deux fois>
145E: <INT> *oudivnié naverna bila chta néagidannié no vié tadi tak↑* </INT>
146A4: l'inquiétude l'inquiétude
147E: <INT>oh c[e n’]est pas l’inquiétude l’inquiétude c’est quoi↑? = </INT>
148A4: * tré vo ga*
149E: <INT>*trévoga bespakoïstva skaïé / razvé trévoga zdés’ chtchoustvavalas’↑ ?*407 n’est-ce pas↑? </INT>
150A4: l'étonn[ e ]ment
151E: <INT>l'étonn[e]ment = la surprise même n’est-ce pas↑? la surprise l'étonn[e]ment mhm puisqu’ils ^ont été tellement surpris ah↑ par la conduite du jeune professeur mhm </INT><…>.’

Nous voyons ci-dessus une focalisation explicite de l’enseignant évaluateur sur le code. Finalement, la langue maternelle aide à trouver un mot juste qui manquait pour réussir la réponse. Nous sommes en présence d’une évaluation positive, malgré certaines nuances qui sont reprécisées au fur et à mesure du dialogue. C’est une évaluation formatrice: l’entretien d’évaluation s’y manifeste comme un moment privilégié de l’expression individuelle. Des passages métalinguistiques en russe visent l’efficacité maximale de la communication. L’enseignant pousse son apprenante de bien chercher le mot qui convient, autrement dit de s’impliquer activement . Par la suite, soutenue par des intonations enthousiastes du professeur, ses phatiques mhm, par oui bien sûr, oui, c’est ça, d’accord,l’étudiante prend le courage de continuer. Voulant obtenir une réponse plus concrète à la question initialement posée, l’enseignant en reprend l’idée directrice, en concluant lui-même que la conduite , le comportement du professeur pendant sa première leçon était efficace , en remplaçant par des synonymes «  conduite» et «  comportement» le terme «  méthodes» et en insistant sur le mot « efficace ». Il impose ainsi, en partie, son point de vue, explicite ce qu’il avait envie d’entendre comme réponse. Il attire l’attention du groupe sur le résultat par un bref: c’est ça ? et dit de passer à la question suivante.

Quelquefois, en sentant que les apprenants hésitent de répondre, l’enseignant reprend la formulation de la question, afin qu’ils l’entendent encore une fois, tout en la simplifiant, par exemple, du point de vue syntaxique:

62E   : <…> bon = à la sixième↑
63A2: de quelle façon↑
64E: bon
65A2 : le jeune professeur a-t-il commencé sa première leçon ?
66E: mhm = de quelle façon↑ il a: euh: il a commencé sa première leçon ? = <…>.’

L’enseignant a supprimé l’inversion du sujet (66E) dans le but de rendre la question plus perceptible à l’oral. L’enseignant se présente ici comme facilitateur du traitement de l’input, anticipant une évaluation positive.

Notes
405.

Le Nouveau Petit Robert , op. cité, p.18 et p. 249: d’accord = « j’y consens »; bien = « …conforme à ce que l’on peut attendre ».

406.

« Comment se croit-il probablement ? »

407.

Du russe en français: « Ne serait-ce plutôt une surprise à cause de nouvelles méthodes appliquées ?.. Bon... /On dirait/ l'angoisse, l'inquiétude.Est-ce qu'on ressentait de l'angoisse ?.. »