2. 4. 2. L’enseignant comme modèle d’évaluateur. Ses tentatives d’impliquer le groupe dans le processus d’évaluation

Aux moments où l’apprenante protagoniste hésite de se lancer, le professeur est obligé d’intervenir avec ses instructions directrices. La jeune fille les exécute en craignant souvent de ne pas avoir bien compris la consigne. L’enseignant l’encourage et la double verbalement. Lorsqu’elle s’adresse à une de ses camarades de groupe, en prononçant son prénom à la française, le professeur le reprend en écho, en approuvant son choix et sa manière de prononcer, à la fois:

73A2: décrivez et commentez la conduite des ^élèves lors de leur première rencontre avec leur nouveau professeur
74E: mhm
75G: ==
76E: eh bien demandez oui demandez XXXX mhmmhm
77A2: == Svéta
78E: oui eh bien Svéta <…>.’

Dès que l’apprenante indiquée par Anne-protagoniste commence à répondre, l’enseignant se place en position d’évaluateur, en marquant régulièrement son acquiescement par ses mhm, d’accord, oui et par une reprise de la fin de la phrase de l’intervenante. Tous ces approbateurs sont le plus souvent groupés de la sorte: mhm d’accord, oui + reprise de la fin de la phrase + mhm, oui mhm. Dans le cas ci-dessous, on rencontre néanmoins deux fois sur cinq le mhm tout seul:

79A7: euh: === les ^é- les ^élèves euh: == pour la première fois ils: considéraient leur nouveau professeur avec attention
80E: mhm
81A7 : ils: ils reconnaissaient le caractère de d'un professeur à sa façon d'ouvrir: d'ouvrir la porte
82E: <INT> mhm = d'accord </INT>
83A7 : == les ^élèves ont sursauté quand le professeur s'est mis ^à frapper dans ses mains
84E: <INT> mhm </INT>
85A7: quand ^[t] il ordonnait aux ^élèves: se ranger ils: #hésitaient mais ils: = ils ^ont fait tout c[e] qu'il voulait
86E   : <INT> oui tout c[ e ] qu'il voulait mhm</INT>
87A7: et: à la fin de: la l[e]çon: les ^enfants: = s'émerveillaient de leur professeur
88E: oui = mhm ===<…>.’

Si on écoute cette partie de l’enregistrement, on constate une intonation hésitante de l’enseignant traduisant qu’il n’est pas pleinement satisfait de la réponse. On a même l’impression qu’il a repris mécaniquement la fin de la phrase de l’étudiante, en s’attendant à ce que celle-ci dise quelque chose de plus fondamental, quelque phrase clé, qu’il voudrait entendre. Même les durées croissantes de ses pauses à la fin témoignent de cette attente. Nous avons remarqué, à travers ce polylogue, que des procédés paraverbaux employés par l’enseignant transmettent parfois autant d’infirmation que la parole même.

A la fin de chaque question, le professeur analysé effectue une évaluation définitive, qui remplit plusieurs fonctions, notamment:

  • récompenser des efforts langagiers de l’étudiant(e);
  • donner le signe à l’apprenante protagoniste d’entamer la question suivante;
  • éventuellement montrer à la jeune fille responsable et à tout le groupe l’exemple de clore un mini-dialigue du type « questions-réponses »:
88E: oui=mhm ===
merci merci il faut remercier↓ n'est-ce pas↑? oui i[l] faut remercier <…>.’

Son n’est-ce pas ? dans l’exemple ci-dessus sert à attirer l’attention de tous sur son message métalangagier ayant pour but de rappeler en pratique des notions de base de politesse « à la française ». Nous sommes en présence d’un petit exemple de l’enseignement des éléments culturels et des comportements authentiques propres aux Français dans un milieu hétéroglotte. On dirait une évaluation instructive .

Si nous continuons à examiner le même exemple, nous constaterons qu’en essayant de motiver le groupe d’effectuer le contrôle de ce que disent leurs camarades, l’enseignant adresse à tous – et à chacun - sa question c’est vrai ?, à laquelle il répond immédiatement lui-même par une triple affirmation qui renforce son effet approbatif: oui c’est ça c’est vrai. Il aimerait bien sûr entendre cette réaction de la bouche de l’un de ses apprenants mais il trouve que son rôle est déjà à moitié rempli par le fait même d’avoir lancé au groupe un appel implicite de participer plus activement au déroulement du polylogue. L’enseignant veille ici à la gestion du lien communicatif.

On y voit également un bon exemple témoignant de la progression des apprenants grâce aux méthodes appliquées par l’enseignant - l’autocorrection de l’étudiante. S’étant trompée par distraction de forme du verbe, elle s’est ressaisie immédiatement par une variante correcte:

93A8: comment le jeune professeur peut les retient ? ret[e]nir <…>.’

Une autre observation prouvant la même chose: au fur et à mesure que le polylogue progresse, l’apprenante protagoniste commence à se sentir mieux dans sa peau et ose – pour la première fois ! - révéler un peu son altérité, en prononçant le prénom de sa camarade de classe à la russe, en frappant d’accent son deuxième syllabe: Ma ri na. L’enseignant marie des moments d’évaluations avec la gestion du lien communicatif , ce qui crée un climat bienveillant destiné à stimuler les échanges.