2. 4. 3. Le développement du sens de responsabilité chez les apprenants

A un moment donné, l’apprenante protagoniste a entamé elle-même trois questions consécutives sans attendre les instructions de la part de l’enseignant, ayant pressenti les moments où il fallait passer à la question suivante. Elle était en train de s’approprier petit à petit les facultés de diriger un dialogue pédagogique. Bien que, fidèle au contrat didactique et ressentant sa grande part de responsabilité pour un bon déroulement de l’activité en cours, l’enseignant s’empressait toujours de la soutenir par ses mhm, de même qu’il restait le dirigeant privilégié du polylogue à cette étape, y compris l’évaluation de la réponse:

105A2: pourquoi leur a-t-il dicté un message à l'adresse de leurs parents ?
106E   : <INT>mhm </INT>
107A2: Marina
108A8: <elle toussote> jusque-là un abîme séparait les z- les parents d'élèves de leurs professeurs == peut-être↓
109E   : peut-être↓
110A8: il a dicté un message à l'adresse de leurs parents pour les parents étaient au cours de des
111E   : <INT> pour que pour que les parents ou pour que les parents soient soient au courant</INT>
112A8: au courant des notes et de la conduite de leur enfant
113E   : <INT>mhm </INT>
114A8: des ^enfants
115E   : mhm peut-être comme ça mhm <…>.’

L’apprenante A8 a finit sa phrase par un peut-être (108A8). Nous le considérons comme un appel implicite adressé à son professeur: la jeune fille avait besoin d’être rassurée au sujet de la justesse de sa parole. Ce dernier ne voulait pas la décourager et a accepté le début de sa réponse, en reprenant en écho son peut-être. L’énoncé suivant de l’étudiante ne pouvait pas être parfaitement compris sans la correction grammaticale que l’enseignant s’est chargé d’effectuer immédiatement. Il a juste repris la partie à corriger, en insistant intonativement sur les passages rectifiés, qu’il a répétés deux fois, afin que chacun, y compris la jeune fille elle-même saisisse bien la nature de corrections. Il s’est explicitement focalisé sur le code, tout en tenant compte du niveau des apprenants et de l’activité en cours: il n’est jamais entré dans des explications grammaticales, pour ne pas endommager le sens du message et ne pas briser une ambiance communicative très fragile. En même temps, l’enseignant était conscient que le mode de subjonctif avait été juste un peu abordé en première année (sans évoquer l’école secondaire où le niveau d’apprentissage de FLE reste souvent bien approximatif) et qu’il serait étudié plus en détails plus tard, lors du cursus de grammaire française. Malheureusement, l’étudiante n’a repris que la fin de la phrase corrigée - ne contenant pas de phénomène grammatical « problématique » - et donc on ne pouvait pas être sûr que cette première l’eût compris. L’enseignant a néanmoins accepté sa manifestation. De son côté, l’étudiante a décidé sur-le-champ d’effectuer une petite autcorrection: elle a remplacé leur enfant par des enfants, en mettant en relief le pluriel du mot. Bien sûr, l’idéal serait de dire de leurs enfants, mais déjà cette rectification prouve que la jeune fille réfléchit sur ce qu’elle dit et qu’elle possède des bases grammaticales indispensables pour construire ses phrases personnelles dans le cadre du sujet étudié. Elle essaie de produire des constructions à subordination.

L’enseignant a d’abord évalué la réponse de l’apprenante d’une façon évasive, en reprenant son propre peut-être, pour ensuite l’accepter sans condition (115E).

Nous voyons que la manière formatrice d’évaluation du professeur examiné par nous fait se développer chez ses apprenants un sens de responsabilité, en les amenant progressivement vers l’acquisition de la faculté de l’autoévaluation et par conséquent vers une expression de plus en plus libre et spontanée.408

Notes
408.

Cf: MEHANNA G.,« La Culture de l’évaluation… », op. cité, p.p.30-31.