Passons en revue les manifestations les plus caractéristiques de notre enseignant évaluateur, à travers tout le polylogue.
Ce dernier aime surtout utiliser – nous l’avons montré plusieurs fois ci-dessus - des phatiques mhm qui peuvent être interprétés selon la situation, en contexte même.
Sinon, l’enseignant peut donner une appréciation plus développée, comme dans le cas ci-dessous, lorsqu’il expose son avis sur la question énoncée, afin d’y attirer l’attention du groupe (la gestion du lien communicatif):
‘ 203A2: ↑voyez-vous quelques défauts à la première leçon qu'il a donnée↓?Nous constatons une tendance stable de la part de l’enseignant d’évaluer brièvement chaque réponse à la fin , en plus de l’évaluation qu’il fait régulièrement au cours de la réponse. Il s’agit d’une sorte de bilan. Dans la plupart des cas, c’est une évaluation positive, mais parfois, elle peut être réservée:
‘ 59E : mhm = merci merci mad[e]moiselle mhm <…>;Dans les cas ci-dessus, les pauses signifient que l’enseignant s’attendait à entendre encore quelque chose. Dans le dernier cas, il s’agirait des approbations-encouragements séparés de pauses. Une sorte de stratégie personnelle de l’enseignant n’ayant pas fonctionné, cette fois-ci.
Parfois, l’évaluation porte un caractère évasif, hésitant (peut-être), lorsque l’enseignant n’est pas entièrement satisfait de la réponse:
‘ 115E : mhm peut-être↓ comme ça↑ mhm <…>;Mais quelquefois, l’enseignant est obligé de contredire:
‘ 217A2: peut-êtrec'est ça↑ ?L’enseignant souhaite que son « adjointe »-protagoniste partage avec lui sa fonction d’évaluateur. Mais compte tenu du niveau d’apprentissage, la jeune fille est assez limitée dans ses savoirs et savoir-faire et préfère tout bonnement suivre les instructions de l’enseignant, de se soumettre à son autorité et à sa supériorité langagière et méthodologique. Ce dernier s’impatiente d’ailleurs toujours de lui prêter sa main forte:
‘ 40E: mhm eh bien Anne↑ c'est juste ?Bien souvent, l’enseignant essaie d’introduire l’ensemble de ses étudiants dans le processus d’évaluation, en les incitant à ajouter, à compléter la réponse:
‘ 72E: mhm == eh bien↑ peut-être il y a des personnes↑ qui vont ^ajouter↑ = quelqu[e] chose↑? <…>;Dans le dernier cas ci-dessus, l’enseignant joue sur une opposition des embrayeurs on (= Anne) et vous (= groupe et enseignant lui-même, compte tenu de son intonation traduisant un étonnement et sa négation explicite qui suit) qui sous-entend pour les étudiants la position à prendre. On dirait une question rhétorique. Il aime bien ce procédé:
‘ 94E : c’est vrai↑?oui c’est ça c’est vrai mhm = mhm <…>. ’Maintenant, voyons comment l’enseignant réalise des évaluations ponctuelles au cours de la réponse. Elles servent à encourager ceux qui parlent et permettent d’étayer la variante définitive de la réponse:
136A4: === les ^élèves↑ 138A4: manifestaient euh: l'intérêt 140A4: à son = nouveau professeur 142A4: à leur nouveau professeur 144A4: <elle toussote deux fois> 146A4: l'inquiétude l'inquiétude 148A4: * tré vo ga* 150A4: l'étonn[ e ]ment 152A4: l’étonn[e]ment <tout bas> 154A4: ils ^ont regardé attentiv[e]ment 156A4: le professeur 158A4: ils: =<elle toussote>ils voulaient comprendre 160A4: ils : 162A4: voudraient 164A4: ils voudraient comprendre euh: === euh: le caractère de 166A4: leur professeur |
137E: <INT>mhm manifestaient *praïav
lia
li* manifestaient ↑quels sentiments↓? </INT> 139E: <INT>l'intérêt</INT> 141E: <INT>oui l’intérêt à son à: à leur nouveau 143E: <INT> à leur nouveau professeur encore↑ ? </INT> 145E: <INT> * oudiv lé nié naverna bila chta néagidannié no vié mé tadi tak↑?*</INT> 147E: <INT>oh c[e n’]est pas l’inquiétude l’inquiétude c’est quoi↑ ? = </INT> 149E: <INT>*tré vo ga bespa koï stva skaréïé razvé trévoga zdés’ chtchoustvavalas’↑?* 410 n’est-ce pas↑? </INT> 151E: <INT> l'étonn[e]ment↑</INT> 153E: <INT>la surprise même n’est-ce pas↑? la surprise l'étonn[e]ment mhm puisqu’ils ^ont été vraiment surpris ah↑? par la conduite du jeune professeur mhm </INT> 155E: <INT> ah oui </INT> 157E: <INT> oui bien sûr</INT> 159 E : <INT> mhm</INT> 161 E : <INT> mhm</INT> 163 E : <INT> oui </INT> 165 E : <INT> oui </INT> 167 E : <INT> oui le caractère de leur nouveau professeur c’est ça oui mhm d’accord↑ mhm alors ça c'est c'était = euh quand même euh: l'efficace peut-être n'est-ce pas↑? la: conduite ou bien le comportement du professeur pendant sa première = l[ e ]çon↓ c'est ça↑ ? d'accord </INT> |
Une fois l’étudiante prononce le début de sa phrase, l’enseignant s’empresse de l’encourager en l’évaluant positivement et même en lui proposant la suite de l’énoncé (136A4-137E). En général, la variante de l’enseignant est bien acceptée et légèrement développée (138A4), ce que ce dernier approuve avec enthousiasme. La fin de la phrase de la répondante est également soutenue par reprise, quoique avec une délicate correction grammaticale. La correction est immédiatement prise en compte par l’apprenante et répétée à haute voix par cette dernière et par l’enseignant lui-même. Le professeur souhaite entendre la suite de la réponse, en faisant savoir qu’il y a encore des choses à dire (143E: <INT><…> encore↑?). La jeune fille hésite (144A4), et l’enseignant propose sa variante en russe. Il donne une évaluation négative à la traduction qu’il entend ensuite et demande à l’étudiante de retraduire en russe le terme employé, ce qu’elle fait immédiatement sous une reprise approbative de ce premier suivie de sa question en russe adressée à cette même étudiante. Celle-ci trouve un autre mot français qui est soutenu par l’enseignant et délicatement mis en alternance avec un autre synonyme – plus intense – la surprise. Le professeur insiste là-dessus, en intégrant ce terme choisi dans le contexte (153E).
L’enseignant fait bien attention au vocabulaire. C’est pourquoi il recourt fréquemment à la synonymie (focalisation explicite sur le code), en proposant à ses apprenants le français authentique – tel qu’on le parle dans le pays:
‘ 200E: <…> mais ↑qu'est-ce qu'il a fait↓ = le prof le professeur↓?Mais revenons à notre petit extrait de dialogue ci-dessus. Nous y observons ensuite une succession d’approbations-encouragements (155E-165E) réalisés par l’enseignant. Entre temps, il accepte volontiers une petite autocorrection de l’étudiante sur le mode du verbe employé (qui en fait n’est pas significative) (162A4). En 167E, l’enseignant approuve tout en reprécisant l’idée énoncée, pour passer immédiatement au bilan définitif de la question, en prononçant le mot clé efficace caractérisant le comportement du professeur débutant dépeint dans l’extrait; c’est ce qu’il voulait entendre dès le début; nous avons ici 7 approbations successives de la dernière phrase suivie d’une reprécision de l’idée et de sa confirmation définitive.
Nous pouvons déduire, à partir de nos analyses préalables, que le professeur essaie d’utiliser divers moyens étant à sa disposition pour inciter ses étudiants à donner leurs avis sur la question et la réponse. Sa stratégie se base généralement sur des encouragements et des évaluations positives . Mais une fois son rôle est d’enseigner l’oral, il se sent dans l’obligation de ne pas accepter d’emblée tout ce qui est dit au cours de l’activité qu’il dirige, de recourir parfois à des négations et rectifications plus ou moins directes. Exemples:
‘ 147E: <INT>oh c[e n’]est pas l’inquiétudel’inquiétude c’est quoi↑ ? = </INT> <…>;Chaque fois, en montrant son désaccord, l’enseignant implique ses étudiants à trouver ensemble une bonne réponse, en procédant par de petites sous-questions, par de simples commentaires en français ou en russe (voir de petits exemples ci-dessus et l’exemple déjà analysé: 136A4-167E).
Il lui arrive de réagir avec un petit retard, en fonction des particularités du déroulement du polylogue ou de sa personnalité à lui, mais il ne manque jamais des corrections qu’il a à faire :
‘ 33A4: euh: puis = il a pensé quelques minutes↑Dans ce dernier exemple, l’enseignant mène de front - et avec succès - deux corrections (326E, 328E)!
S’il le faut, il n’hésite pas d’appeler le texte du manuel comme un référent incontestable, un appui solide pour construire sa parole pédagogique:
‘ 200E: <…> il a ouvert↑comment↓ ? na-tu-rel[le]-ment n'est-ce pas↑? naturel[le]mentIl souhaite transmettre ce réflexe à ses étudiants:
‘ 274E: *kakié vi mogété nazvat' zdés' padobnié = storani ? zdés' adna* 412On ne trouve nulle part de commentaires grammaticaux qui auraient nui à la progression du dialogue. Vingt-cinq fois l’enseignant recourt à des corrections explicites et immédiates des erreurs trop évidentes. Par exemple:
‘ 110A8: il a dicté un message à l'adresse de leurs parents pour les parents étaient au cours de desLà où c’est possible, l’enseignant incite ses apprenants à s’autocorriger eux-mêmes:
‘ 297A4: == elle était = très = furieux↑Il faut dire que la faculté d’autocorrection commence à se mettre au point chez les étudiants du groupe. Ils « sentent » déjà leurs propres erreurs et celles de leurs camarades et les corrigent spontanément, sans attendre l’intervention du professeur:
‘ 4A1: <…> euh le matin personne euh ne n'était là↑ pour s- le presser personne ne lui disait allons↑ dépêche-toi↑ tu vas en retard↓ = tu vas être en retardLes apprenants prennent donc des initiatives, ce qui est le premier pas vers des échanges pluridirectionnels, en s’écartant ainsi de l’échange strictement bilatéral (P –> E, E –> P). Mais il s’agit d’une activité métacommunicative et non pas d’une véritable conversation.
Toutefois, assez souvent, c’est quand même le professeur qui les aide à devenir plus vigilants:
‘ 381A4: elle a = vingt-huit ans↑Si les apprenants ne se corrigent pas sur-le-champ, le professeur essaie, à l’aide de divers procédés (reprise partielle, mise en garde, paraphrase, etc.), d’abord, d’attirer leur attention sur l’erreur afin de les inciter, ainsi, à se corriger eux-mêmes. Ce n’est que lorsque les apprenants ne trouvent pas de bonne structure qu’il indique la correction.
L’enseignant se soucie non seulement d’inculquer à ses apprenants une somme de savoir-faire « techniques », mais aussi de leur apprendre des éléments culturels de base qui confèrent à la parole son authenticité:
‘ 88E: oui=mhm ===merci merci il faut remercier↓ n'est-ce pas↑? oui i[ l ] faut remercier<…>;Il surveille même que les prénoms des étudiants soient prononcés à la française:
‘ 118A2: quelle était la réaction des ^élèves ? Olia414A propos, il veille à sauvegarder cette authenticité en tout:
‘ 214E: mhm bon↑ = qui peut dire↑ ? = mhm = mad[ e ]moiselle↑ == <…>.’D’autre part, le prénom et le patronyme de l’institutrice russe doit, selon lui, être prononcé à la russe, certainement dans le même but - de préserver le naturel du polylogue:
‘ 401E: oui vous vous rappelez son:↑ nom son prénom↑?Tout ceci nous permet de conclure que notre enseignant met au service des ses apprenants tous ses savoirs et savoir-faire linguistiques, méthodologiques et pédagogiques, afin de les faire progresser conformément à leur niveau et à leurs caractéristiques individuelles. Mais il reste encore la tradition d’enseignement faisant accroître la hiérarchie des relations professeur/apprenants.
« … A propos, dites-moi, y avait-il des erreurs... qu'on pourrait reprocher à ce professeur débutant ? »
Du russe en français: « Ne serait-ce plutôt une surprise à cause de nouvelles méthodes appliquées ?.. /On dirait/ l'angoisse, l'inquiétude.Est-ce qu'on ressentait de l'angoisse ?.. »
« On l'a bientôt renvoyée. »
« Quelles en sont les preuves que vous pouvez y apporter ? Il y en a une ici. »
L’apprenante tire une phrase directement de l’extrait analysé.
Le diminutif d'Olga.
Le diminutif de Marie.
L’enseignant prononce le prénom et le patronyme à la russe, c’est-à-dire la voyelle o devient [a] dans une position atone. Et l’apprenante essaie d’articuler « à la française » et prononce tous les sons sans les modifier.