2. 5. 1. Moments de présentation

La fonction de l’enseignant comme vecteur d’information se réalise à travers une série d’opérations d’information explicites.

Tout au début de l’activité, en annonçant la tâche à remplir, nous l’avons vu ci-dessus, l’enseignant réalise plus ou moins efficacement sa fonction d’informateur.

On distingue généralement trois catégories de métadiscours informatifs selon le type qui en représente la réalisation discursive:

  • le métadiscours informatif est, selon L. Dabène,421 la réalisation la plus simple, équivalente à toute actualisation autonymique422 d’un élément quelconque de la langue étrangère. C’est le cas de la réponse du professeur dans l’échange suivant:
446A3: <elle toussote> = je croi:s en première leçon↑ euh: il faut = parler de == de de moi
447E: <INT> il faut↑ </INT>
448A3: de lui *a sékak skasat' a sé 423?*
449E: <INT> bon a- alors le professeur doit↑ parler↑ de lui-même↓ </INT>
450A3: ah de lui-même
451E: <INT> voilà <…>.’

Dans cet exemple, l’enseignant est directement interpellé pour fournir le mot manquant. Il y a une focalisation explicite sur le code dans le but de faire progresser le polylogue.

Cette focalisation peut parfois prendre des formes moins explicites, se camouflant sous un simple échange de points de vue opposés. Et pourtant c’est une focalisation explicite sur le code, puisqu’il s’agit de choisir absolument une des deux opinions sur le sujet, comme dans l’extrait du polylogue analysé, où le locuteur-apprenant a recours à sa langue maternelle pour insister sur son idée: 516A-528A.424On peut même dire que les apprenants s’y sont présentés comme un correcteur collectif, ayant modifié la conclusion de l’enseignant à base de leurs perceptions à eux de l’extrait analysé.

L’enseignant informe constamment ses apprenants sur les termes inconnus; parfois, il se charge même de finir leurs phrases; et ceci toujours dans le but de préserver le déroulement du polylogue:

428A9: oui j'approuve
429E: <INT>oui </INT>
430A9: ses: = ses: == ses: =
431E: <INT> ses ^actions </INT>
432A9: ses ^actions
433E: <INT> ses ^actions ces ^actes du: jeune professeur voilà mhm </INT> <…>.’
  • le métadiscours explicatif (« glose métalinguistique »425) est utilisé par l’enseignant pour élucider le sens d’un segment. Ceci peut se manifester d’une manière diversifiée, notamment par: énoncé de type définitoire, énumération de termes synonymiques ou antonymiques (y compris dans une langue maternelle des étudiants), construction d’un métarécit parallèle, rappel de faits langagiers antérieurs qui constituent une sorte d’intertexte du groupe, etc.426 C. Carlo parle dans ces cas des manifestations visant la facilitation du traitement de l’input. Reprenons un exemple analysé plus haut:
147E: <INT>oh c[e n’]est pas l’inquiétude l’inquiétude c’est quoi↑ ? = </INT>
148A4: * tré vo ga*
149E: <INT>*trévoga bespakoïstva skaïé / razvé trévoga zdés’ chtchoustvavalas’↑?*427 n’est-ce pas↑? </INT>
150A4: l'étonn[ e ]ment
151E: <INT>l'étonn[e]ment↑</INT>
152A4: l’étonn[e]ment <tout bas>
153E: <INT>la surprise même n’est-ce pas↑? la surprise l'étonn[e]ment mhm puisqu’ils ^ont été vraiment surpris ah↑? par la conduite du jeune professeur mhm </INT> <…>.’

L’enseignant essaie d’éviter des explications trop compliquées et floues, veille à tout moment à être compris par chaque apprenant. Pour en être sûr, comme nous l’avons déjà constaté ci-dessus, « notre » enseignant a régulièrement un recours aux feed-back du type ah ? n’est-ce pas ? et aux passages explicatifs en russe;

  • le métadiscours correcteur surveille le fonctionnement de la langue-objet en tant que système. Après un rejet officiel de la grammaire dite explicite, depuis plusieurs années, ce type de discours a toutefois gardé sa place dans le processus d’enseignement des langues étrangères. L’enseignant que nous observons ne se lance jamais dans des commentaires grammaticaux, mais il se permet des corrections explicites, tout en attirant l’attention de ses apprenants – par l’intermédiaire de son intonation - sur le phénomène corrigé. La grammaire est ainsi présentée sous forme de vocabulaire:
110A8: il a dicté un message à l'adresse de leurs parents pour les parents étaient au cours de des
111E   : <INT> pour que pour que les parents ou pour que les parents soient soient au courant↑</INT>
112A8: au courant des notes et de la conduite de leur enfant
113E   : mhm<…>.’

Encore un exemple, mais où l’enseignant entraîne l’étudiante à participer à l’autocorrection, en accompagnant ses interventions par une attitude encourageante et bienveillante; on dirait une union d’une focalisation explicite sur le code et de la gestion du lien communicatif, ce qui s’avère absolument indispensable dans le cas d’une importante hiérarchie de relations enseignant/apprenants:

297A4: == elle était = très = furieux↑
298E: oui furieux↑? oui bon
299A4: euh:
300E:<INT>↑il était↓ ou ↑elle était↓? </INT>
301A4: elle
302E   : <INT> elle était furieuse alors </INT>
303A4: furieuse
304E   : <INT> voilà <il sourit> </INT> <…>. ’

La fonction d’information peut aussi se réaliser d’une manière indirecte, par l’intermédiaire de la paraphrase. Nous avons examiné ci-dessus un exemple de notre corpus (11E-13E)428 illustrant le cas d’adaptation de la parole de l’enseignant au niveau de ses apprenants. Suivant les termes de C. Carlo, dans cet exemple, l’enseignant s’est charge de faciliter le traitement de l’inputou de sa propre consigne.

Il a aussi l’habitude de seconder ses paraphrases en français par celles en russe, pour éclaircir davantage le sens de certains passages du polylogue. Voyons commentil recourt à une reformulation détaillée de la question initiale dans le but d’obtenir enfin une réponse souhaitée:

218E: euh non qu’est-ce que c’est défauts ?
219A2: défauts ? <tout bas>
220E: nédastatki peut-être des fautes *vot euh: v évo pavéniï vi kak moget bit' fsio taki né tak davno prichli is chkoli vot vi zatili kakié-ta moget bit' euh: nédastatki fsio gé ?* quelques défauts *katorié iziani katorié mojna ispravit' i katoriï fpal iéstestvénni ras éta bil perviï ourok↓ ?* 429 ah↑? puisque c'était sa première leçon <…>.’

Lorsque l’implication de l’apprenant aboutit à un transfert de rôles, il peut, un moment, remplir les fonctions de l’enseignant en faisant recours à la paraphrase explicative, pour faire comprendre quelque chose, comme dans l’extrait suivant: 337A4- 350E.430

Malgré ce que le nombre de manifestations de l’enseignant comme informateur ne représente que 7,42% sur la totalité de ses manifestations couvrant la période du temps égale seulement à 1’52’’, leur rôle reste important, puisqu’elles permettent de préserver la compréhension mutuelle de l’enseignant et des apprenants, ainsi que des apprenants entre eux. Il s’agit en fait des interventions régulatrices et compensatrices d’un bon déroulement du polylogue, puisque la compréhension mutuelle assure un avancement fructueux de ce dernier dans les fins de l’apprentissage.

Notes
421.

DABENE L., « Communication et métacommunication… », op. cité, p.133.

422.

Autonyme est un mot qui « se désigne lui-même comme signe dans le discours, en parlant d’un mot ou d’un énoncé ». D’après Le Nouveau Petit Robert, op. cité, p.186.

423.

« Comment dit-on « parler de soi-même» ?»

424.

Revoir les extraits du corpus à la page 283.

425.

Cf. BESSE H., « Métalangage et apprentissage d’une langue étrangère », dans: Langue française, 1980, n°47, septembre.

426.

Cf. ZIJP-GUILLOT M., Conditions d’apparition et stratégies du métadiscours explicatif, Mémoire de DEA, C.D.I.L., Grenoble III, 1984.

427.

Du russe en français: « L’ angoisse, l'inquiétude.Est-ce qu'on ressentait de l'angoisse ?.. »

428.

L’exemple à la page 287.

429.

« Vous qui venez de terminer l'école secondaire, avez-vous peut-être remarqué quelques défauts dans son comportement qu'on peut réparer et qui sont tout à fait naturels, parce que c'était sa première leçon ? »

430.

Voir l’exemple à la page 303.