2. 6. Les métadiscours de l’enseignant

Tout au long du polylogue, l’enseignant-organisateur a fait 48 fois recours à des commentaires métadiscursifs et métatextuels, ce qui est équivalent à 9’42’’. Peu nombreux sont ici des commentaires métalangagiers – seulement 4 manifestations englobant 8’’ au total. L’enseignant réserve ainsi 68,5% de son temps d’organisation aux commentaires méta (52 manifestations). Des commentaires métalinguistiques n’ont point été aperçus dans le cadre de la fonction organisatrice de l’enseignant. Nous pouvons ainsi conclure que l’enseignant se concentre principalement sur l’organisation d’un déroulement efficace du polylogue ayant l’extrait analysé pour centre d’intérêts.

Voici deux passages métadiscursifs concernant des particularités organisationnelles du déroulement de l’activité en cours:

12A2: XXXXX
13E: ouiça va↓ mais vous n'avez pas compris ma question ah? n'est-ce pas? / ça veut dire↓ c'est vous = vous allez poser la question deux ou trois questions n'est-ce pas? euh: et vous allez choisir la personne à qui vous vous adressez↓ n'est-ce pas?
alors s'il vous plaît <…>;
66E: <…> mhm Anne↑ = posez la question↑ = ↑à qui↓?
67A2: de quelle façon↑ le jeune
68E: oui↓ c'est ça donc
69A2: ah comme d’habitude XXXXXXXX <avec un débit accéléré>
70E: alors voilà↑’

L’enseignant tient à rectifier le comportement discursif de l’apprenante dominante.

Mettons maintenant en relief des commentaires métalangagiers, métalinguistiques et métadiscursifs de l’enseignant représentant 39,25% (3’41’’) du temps général employé pour des manifestations évaluatives, y compris 62,9% (2’19’’) des manifestations métalangagières, 22,62% (50’’) des manifestations métadiscursives et 14,48% (32’’) des manifestations métalinguistiques. Il est à remarquer que les manifestations métalinguistiques sont plus nombreuses que celles métadiscursives gagnant au niveau de la longueur. Nous avons ainsi 22 manifestations métalangagières, 9 manifestations métalinguistiques et 5 manifestations métadiscursives et métatextuelles. Le rôle de l’enseignant comme informateurest ici minimal, soumis uniquement aux besoins de la progression du polylogue, dont le but ultime est de faire parler ses apprenants le maximum du temps, de développer leurs savoir-faire de l’oral.

Passons en revue quelques exemples de notre polylogue, à ce sujet.

En lisant la neuvième question du questionnaire du manuel,432 l’étudiante protagoniste éprouve soudainement besoin d’être rassurée par l’enseignant qu’elle a bien compris le sens de la question. Elle entreprend avec lui un bref dialogue de questions-réponses où elle parle russe et l’enseignant réagit en français:

95A2: qu'a-t-il fait↑ pour ret[e]nir le plus vite possible les noms des ^élèves ?
*to gé samoïé chto vot v poslédniï ras↓ da ?*
96E   : <INT>mhm </INT>
97A2: = *a moget bit' srasou vniz péréïti ?*
98E   : eh bien
99A2 : *viatiï*433 <…>.’

La langue maternelle est ici une sorte de « béquille » dans la construction de la réponse. L’apprenante protagoniste considère les déviations métalangagières comme quelque chose d’en dehors du dialogue sur le texte, la manière de régler des problèmes « techniques » indispensables, de retrouver l’appuie de son professeur dans sa façon d’agir.

Nous nous trouvons ci-dessous en présence d’un métadiscours informatif de l’enseignant: il a anticipé une réponse correcte:

101A2 : ==
102E   : mhm
103A2 : *<l’étudiant prononce une phrase inintelligible en russe>*
104E   : oui c’est çaqu’a-t-il fait↑ pour retenir le plus vite possible les noms des ^élèves ? / euh : enfin c’e :st euh : ça veut dire euh : il a demandé à : à faire un : schéma↑ c’est ça↑ un schéma comme ça un schéma mhm <…>.’

En servant fidèlement de modèle langagier à ses étudiants, l’enseignant leur inculque des façons appropriées de réagir dans des circonstances données. On dirait certaines méta-instructions:

88E: oui =mhm ===merci merci il faut remercier↓ n'est-ce pas↑? oui i[ l ] faut remercier<…>.’

L’enseignant est prêt à fournir un terme manquant, après avoir néanmoins essayé de le trouver ensemble avec ses étudiants:

387A4: elle a- elle adressait = à nous euh: avec euh: =
388E: <INT>elle s'adressait à nous </INT>
389A4:
avec =
390E: <INT> avec </INT>
391A4:* s ouva niïém*<tout bas>
392E: <INT> comment ? </INT>
393A4: *s ouvaniïém* <tout bas>
394E: <INT> *a kak pa- kak boudet ouvaniïé ?*434 avec↑</INT>
395A4: estime
396Ax: <INT>estime</INT>
397E:
<INT>estime</INT>
398A4: estime
399E: ah oui avec estime <avec enthousiasme> c'est ça ah ? mhm <plus bas><…>.’

Encore un exemple du commentaire métalinguistique:

196E: <…> ah↑ tout d'abord↑ c'était #un défi↓ ah↑ selon le professeur ah↑ ? un défi↑ ? qu'est-ce que c'est défi↓?
197A: *visof*
198E: *visof * euh: ILS euh: le tâtaient hum↑ ? le professeur *ani évo ispitivali da↑ ? kakoï gé on boudet na protchnast' kak gavaritsa euh: kakoé boudet évo pervié chagui évo pervié ïstviïa*435 <…>.’

Et maintenant, un petit passage métalangagier se basant sur le contenu de l’extrait en question:

221A2: euh: il tremblait si fort: de sa voix
222E: oui sa voix tremblait
223A2: tremblait
224E: oui sa toix sa voix tremblait:oui ça c’est d’émotion mais ça ça arrive ça arrive <…>.’

L’enseignant fait recours, d’abord, à des synonymes et ensuite – au cas du besoin - à la langue maternelle de ses apprenants lorsqu’il souhaite qu’ils saisissent au maximum des particularités d’emploi d’un phénomène linguistique (commentaires métalinguistiques):

248A7: <…> le jeune professeur se rangeait XXX
249E : <INT> voulait se ranger ah↑? voulait se com- ↑comment↓? ↑qu'est-ce que c'est se ranger↓?rangermettre au rangs↓ les ^élèves↓ ah↑ ? c'est pas se ranger↓ ah↑? j[e] crois ah↑? <il sourit> se ranger *v dannam sloutchaïé paloutchaïétsa samamou pastroïtsa vmesté s nimi da↑?*436
alors = voilà = c'est ça / merci <..>.’

Les exemples cités ci-dessus confirment la bonne volonté de l’enseignant d’agir en fonction des particularités des apprenants concrets et des circonstances se créant spontanément, afin de faire progresser le polylogue d’une façon profitable pour chacun de ces mêmes apprenants, dans le but de développer leurs savoirs linguistiques et savoir-faire langagiers. Par ailleurs, il est vrai que la langue maternelle est trop souvent présente dans les échanges. A notre avis, l’enseignant devrait privilégier plutôt des paraphrases et des synonymes en français , puisqu’il s’agit finalement d’enseigner/apprendre l’oral en français , en préservant le naturel didactique .

Notes
432.

Voir l’Annexe 4.

433.

« La même chose que la dernière fois, c'est ça ? » et « Peut-être passe-t-on tout de suite en bas /du questionnaire/ ? /D'accord, / la neuvième /question/. »

434.

Du russe en français: « …avec estime » et « Et comment dit-on en français estime ? »

435.

«Ils le testaient. Serait-il solide, comme on dit ?... Quels seront ses premiers pas, ses premières actions ?»

436.

«Cela signifie: se mettre en rang avec eux, n'est-ce pas ? »