2. 7. 1. La plurivalence de l’enseignant. Le texte du manuel et la langue maternelle comme ses assistants irremplaçables

Il est souvent arrivé que l’enseignant « portait » pratiquement l’échange « sur ses épaules », le groupe se montrant non-coopératif. Même si parfois l’apprenante protagoniste essayait de se manifester explicitement avec sa question de stimulation, celle-ci était immédiatement reprise par l’enseignant, comme ci-dessous, où il a trouvé nécessaire de lui rendre la forme moins directe et plus polie, c’est-à-dire plus authentique pour les circonstances:

168A2: par quoi peut-^on expliquer la modification de la conduite des ^enfants à partir de leur première apparition jusqu'à la fin de la l[e]çon↓? y voyez-vous le résultat↑ = des ^ efforts du jeune professeur↓?
169 E   : mhm
170G: ==
171A2: qui veut répondre↑ ?
172 E   : <INT> oh qui veut qui voudrait répondre à cette question-là↑ ? == mhm</INT><…>.’

On constate que l’enseignant reste toujours un organisateur irremplaçable du déroulement de l’activité. Nous saluons sa persévérance d’obtenir la réponse, de faire parler ses apprenants par divers procédés. En nous appuyant par exemple sur l’épisode cité ci-dessus, nous observons que l’enseignant:

1 - organise la réponse à la question de base en deux approches, en proposant d’abord de constater simplement si les modifications ont réellement eu lieu;

2 - résume la première sous-question à une construction syntaxique très simple et claire, tout en y gardant le mot clé – modification et en reprenant la même idée en russe;

3 - présente la deuxième approche de sa question – plus difficile à comprendre - en russe; en fait, il réinterprète en russe la question initiale du manuel, en la terminant en français:

174E: ↑où est la modification de la conduite des ^enfants↓ ? *iest' li takaïa izméniïa↑ ? tak↑ kak mi mogem abiasnit' takoïé izméniïé pavéniïa détéï euh:: euh: natchinaïa s pervava païavniïa ?*444Xenfin à partir de leur ↑première↓ apparition↑ jusqu'à la fin de la l[e]çon↓ ? <…>;’

4 - ne cesse pas d’encourager le groupe de prendre la parole par ses mhm entrecoupés de pauses d’attente prolongées:

‘175G: ==
176E: mhm
177G: ==
<…>
179G: ==
180E: mhm mhm <…>;’

5 - décide de procéder par étapes, en divisant la question initiale en petites sous-questions; le mot clé reste toujours la modification/le changement de la conduite des enfants; il veut y faire penser ses apprenants grâce à sa première sous-question:

178E: tout d'abord↑ tout d'abo:rd↑ enfin quelle était leur peut-être conduite la première ? ah↑? n'est-ce pas↑? si vous voulez = puisque nous nous devons et n- nous pouvons n'est-ce pas↑? euh: enfin faire notre attention à ce: changement à cette modification de la conduite n'est-ce pas ?
alors = s'il vous plaît = mesd[e]moiselles mhm monsieur <…>;’

6 - s’adresse à sa co-dirigeante du polylogue, pour que celle-ci donne un exemple de bonne participation, ce qu’elle fait plus ou moins habilement:

182E: bon↑ qui peut répondre à la question↑ Anne↑ vous↑ ? allez-^y répondez mhm
183A2: euh: les ^élèves
184E: <INT> mhm </INT>
185A2: euh: regardent attentivement le jeune professeur
186E: <INT> mhm </INT>
187A2: peut-être le jeune professeur était sympathique = <parle avec un débit un peu plus accéléré que d’habitude>
188E: <INT> mhm </INT>
189A2: pour lui
190E: <INT> mhm </INT>
191A2: euh pour laeuh: ==
192E: XXX
193A2: il voulait savoir = euh: == quelque chose de nouveau
194E: <INT> mhmmhm </INT>
195A2: == <…>;’

7 - essaie de réorienter la réponse dans la direction voulue, en faisant recours à des explications métalangagières, en s’appuyant sur un support écrit (un passage du texte étudié du manuel); il procède par une lecture expressive et commentée d’un passage concerné, en impliquant petit à petit ses apprenants dans ce processus – en russe et en français; il fait recours à des moyens non-verbaux (en imitant le geste d’applaudir) illustrant ses commentaires métalinguistiques (voir notre corpus 196 E– 206E).

Nous pouvons rapporter les procédés 1, 2, 3, 5 à ceux qui facilitent le traitement de l’input; tandis que le procédé 7 veille sur le déroulement de la thématique planifiée; enfin, les procédés 4, 5 et 7 en partie visent la gestion du lien communicatif. Nous voyons que lorsque le dialogue se bloque, l’enseignant choisit le manuel comme médiateur. En lisant le passage concerné, il met en relief – par l’intermédiaire de l’intonation (moyen prosodique) ou des commentaires - des sujets, des actions et des phénomènes cruciaux, selon lui. Il ne néglige même pas la traduction, pour s’assurer d’une bonne compréhension. Nous relevons ici sa fonction d’informateur. La langue maternelle des apprenants - et de l’enseignant - sert indéniablement de médiateur des échanges.

Nous avons vu ci-dessus l’enseignant remplir habilement son rôle d’organisateur, en posant des questions au groupe pour attirer son attention une fois de plus et pour motiver la participation. Il choisit la forme des questions-réponses auxquelles il répond lui-même; une sorte de dialogue avec soi-même, mais à l’attention de tous ceux qui sont présents (198E-200E).

En résultats de ses efforts, un étudiant intervient non sans hésitation, car sa réponse est formulée comme une question (203A), mais il s’implique quand même ! L’enseignant approuve sa réponse, en la modifiant légèrement, en reprenant cette fois la fonction d’évaluateur, d’un évaluateur positif, encourageant (la reprise d’un mot/une expression juste, des oui, hum ?, n’est-ce pas ?).

Enfin, l’enseignant recourt à une confrontation des embrayeurs qui soulignent le rôle de premier ordre que les apprenants ont à jouer dans ce polylogue pédagogique. Il oppose obstinément nous (réunissant l’enseignant et son groupe) et vous (le groupe devant se débrouiller tout seul):

178E: tout d'abord↑ tout d'abo:rd↑ enfin quelle était leur peut-être conduite la première ? ah↑? n'est-ce pas↑? si vous voulez = puisque nous nous devons et n- nous pouvons n'est-ce pas↑? euh: enfin faire votre attention à ce: changement à cette modification de la conduite n'est-ce pas ?
alors = s'il vous plaît = mesd[e]moiselles mhm monsieur <…>.’

Bref, l’enseignant apporte toute une panoplie de moyens dont il dispose afin de motiver ses apprenants de s’impliquer dans le polylogue.

Notes
444.

« Peut-on parler des changements de cette sorte ? Eh bien ? Comment pouvons-nous expliquer un tel changement du comportement des enfants dès la première apparition... ?.. »