Conclusion récapitulative

Nous avons analysé en détail le corpus 1 transcrit à partir d’un enregistrement audio d’un polylogue pédagogique en deuxième année de l’université russe formant de futurs professeurs de FLE, dont tous les apprenants avaient appris le français à l’école secondaire. Leur enseignant est non-natif, mais il voyage régulièrement à travers les pays francophones.

On a constaté que l’ensemble du groupe est assez passif, les étudiants participent ponctuellement, présentant souvent des difficultés de l’ordre lexico-grammatical et dépendant beaucoup de la direction de l’enseignant, à force de traditions du système éducatif russe. Le déficit de savoirs linguistiques et de savoir-faire langagiers des apprenants empêche, à notre avis, leur vraie implication dans le déroulement du polylogue. Finalement, ils n’ «osent » pas se prononcer de peur de commettre une erreur ou par manque d’habileté langagière.

L’enseignant essaie de faire de son mieux. Il remplit ses fonctions d’organisateur, d’évaluateur et d’informateur sans relâche, souvent en en cumulant plusieurs à la fois, en visant le déroulement de la thématique planifiée, en se concentrant explicitement sur le code ou en facilitant le traitement de l’input, ou encore en gérant le lien communicatif tout au fil de l’activité.

Ayant certainement pour objectif d’apporter plus de « vie » à l’activité, l’enseignant a choisi une apprenante dominante censée la co-diriger. Vu toujours du manque de savoirs et de savoir-faire indispensables, celle-ci ne fait généralement que suivre les suggestions et les idées de l’enseignant.

Il s’appuie beaucoup sur une évaluation positive, tout en soutenant ses apprenants avec enthousiasme. Des reformulations des questions, des périphrases en français et en russe, des questions-«béquilles» (contenant une réponse préconstruite), des recours directs au texte-source, des désignations des personnes concrètes, sans oublier des passages métalingusitiques ou métadiscursifs – tout ceci sert à impliquer les étudiants au polylogue pédagogique, à les faire parler, en leur communiquant progressivement de plus en plus de confiance en eux-mêmes.

Parmi les réponses aux questions posées, il y en a celles qui sont à peine abouties, d’autres sont plus approfondies. L’enseignant dit de passer à la question suivante en fonction des participations de ses étudiants. S’il sent que ces derniers n’ont plus rien à dire, même si la réponse n’est pas exhaustive, il préfère aller plus loin.

Nous voyons qu’une grande partie de ses efforts a donné des résultats fructueux, a déclenché une implication de la part de certains apprenants et finalement a même débouché sur un petit débat concernant le contenu de l’extrait étudié. Les étudiants ont réussi à opposer leur point de vue collectif à celui de l’enseignant - qui est par sa formation plus compétent et par son statut plus important dans l’organisation du polylogue qu’eux - l’ayant finalement obligé d’en prendre en compte.

Il est évident, par ailleurs, que les façons de parler et de se comporter de l’enseignant restent, malgré lui, celles d’un non-natif. Dans une situation exolingue, les apprenants n’ayant pratiquement pas d’autres opportunités d’observer des locuteurs francophones en dehors des cours universitaires, sauf une assistante de français, l’enseignant conserve pour eux le statut de modèle d’expression en français. Bref, les étudiants manquent de réelles occasions de pratiquer l’oral authentique. Leur bagage linguistique est modeste. Leurs niveaux syntaxiques en FLE sont généralement réduits à des constructions simples de l’indicatif. La langue maternelle leur sert souvent de médiateur d’échanges. Le texte de l’extrait étudié se trouvant sous leurs yeux, les apprenants y empruntent fréquemment des phrases entières, en se trompant parfois d’intonations et de formes des mots inscrits dans l’original.

Or l’enseignant analysé sert à ses apprenants d’un échantillon de la parole et d’un comportement authentiques des Français, en parlant en même temps, malgré lui, une interlangue, puisque c’est un enseignant non natif travaillant dans une situation exolingue. Ces origines russes se manifestent par exemple dans sa façon d’employer son phatique préféré mhm, parfois dans ses intonations spécifiques, même à travers son comportement trop « directeur » - et trop protecteur - par rapport à ses étudiants. Mais, par ailleurs, il est mieux placé que son collègue natif dans la même situation pour percevoir les difficultés et les besoins de ses apprenants, puisqu’il a jadis vécu le même parcours.

Il est maintenant intéressant de voir le même type d’activité avec un autre groupe du même niveau , réalisé quelques heures après le premier.