3. 4. 2. Les principaux types d’évaluations pratiquées par l’enseignant

A la première place se trouvent traditionnellement – du point de vue de fréquence - les phatiques mhm:

45A4: euh: il a de- euh: demandé qui a- qui était le premier en dessin euh: parce que il = euh: veut euh: il veut connaître↑
46E   : <INT> mhm </INT>
47A4   : tous les ^élèves euh: de son classe↓
48E   : <INT>de sa classe</INT>
49A4:   de sa classe
50E: <INT>oui c'est ça mhm </INT>
51A1: pourquoi leur
52E: <INT>pour pour les faire connaître↓ n'est-ce pas↑? </INT>mhm mhm mhm <…>

Une évaluation approbative.
Une évaluation de la phrase et de sa version corrigée en même temps.
Une approbation de la rectification de la fin de la phrase et de la totalité de la réponse.

Dans ce polylogue-ci, on est également – comme dans l’enregistrement précédent - confronté à des évaluations intermédiaires (des approbations-encouragements à l’intérieur de la réponse) et à celles faisant un bilan à la fin de chaque question discutée.

Des évaluations-bilans peuvent être brèves ou plus ou moins développées:

112E   : soumis ^à lui très bien mhm bon merci <…>;
15E   : mhm mhm d'accord↑ <…>;
165E: oui pour lui peut c'est peut-être c'était impoli ah↑? euh: c'est son père qui lui: disait que: c'est vraiment impoli de regarder en face puisque ça c'est ça c[e]la a l'air de narguer ah: cette personne-là↑ ah ? c'est comme ça↑? d'accord↑? <…>.’

Une fois seulement l’enseignant avait essayé d’impliquer dans le processus d’évaluation la jeune fille protagoniste, mais celle-ci n’avait pas compris sa consigne, comme nous l’avons déjà vu ci-dessus.460

Le professeur souhaite que les réponses des apprenants soient plus fondées, plus « personnalisées ». Par exemple, en acceptant une réponse, il propose à l’étudiante d’expliquer son idée, et insiste sur l’embrayeur vous, en soulignant ainsi qu’il s’attend à avoir son opinion à elle:

82A8: euh: j'espè:re que ces méthodes étaient efficaces=
83E   : c'est ^efficace et pourquoi↑? voulez-vous vous = argumenter peut-être↑ mhm motiver = votre réponse↑? mhm
84A8   : ==
85E   : d'où vient cette = efficacité de ces méthodes↑ selon vous↓? = eh bien↑? <…>.’

L’enseignant tente par ces procédés de « libérer » ses étudiants d’un poids excessif de son autorité, de leur confier plus d’initiative, pour qu’ils veuillent s’exprimer; il vise à diminuer la distance hiérarchique les séparant.

L’enseignant utilise divers moyens pour inciter ses apprenants à donner leurs avis sur la façon dont la question a été élucidée. Par exemple ci-dessous, le professeur dit de ne pas comprendre l’idée énoncée par l’apprenant, en plaçant ce dernier dans la situation où il sera obligé de s’expliquer, d’éclaircir sa parole, c’est-à-dire de défendre son point de vue:

158A9: il était peureux aussi
159E: comment↑?
160A9: peureux
161E: peureux a:h ça veut dire il e:st enfin ses ^élèves lui faisaient peur ah↑?
162A9: parce qu'on pouvait parce qu'on doit ^être euh: peureux pou:r pou:r ne pour ne pas ^à oser à re- oser à regarder quelqu'un en face
163E: <INT> mhm mhmmhm </INT> <…>. ’

Des évaluations intermédiaires (ponctuelles) tout au long de la réponse servent, nous l’avons déjà constaté, d’encourager ceux qui parlent et permettent d’étayer la variante définitive. Voyons le passage du corpus de 113A à 138E en y relevant uniquement des moments d’évaluation:

114E: v oilà = s'il vous plaît↑ = qui est-ce↑? =
118E   : <INT> <…> = c'est tout↑? mhm </INT>
120E   : <INT>mhm </INT>
122E   : <INT>mhm </INT>
124E: <INT> ses défauts <bas> </INT>
126E:
alors euh voulez-vous énumérer lesquels ? s’il il y en a vous dites des défauts quand même ? vous avez = trouvé ça les défauts aussi↑? non ? non↓ = bon est-ce qu'il y a les personnes parmi vous qui ont euh: enfin qui croient qu'il y a ici = enfin un certain ou bie:n quelque dé- défaut défaut quand même hum↑? = bon alors réfléchissez pensez = vos ^idées = au sujet
134E: voilà il peut-être sévè:re↑ à l'égard des ^enfants il y a des ^idées↓ encore↑? = alors c'est ça veut dire que vous soutenez↓? =
136E: oui voilà
138E: bien sûr même↓ ah↑? certes↓ ça va↓ certes↓ euh: donc↑ alors ça c'e:st ce truc-là ça c'est # ir réprochable↓ hum↑? hum↑? n'est-ce pas↑? encore↑? = encore↑? quels sont peut-être↑ qui ça↑? mhm puis on a dit qu'il étai:t peut-être de nature puisqu'il était de nature faible enfin pour lui e: st vraiment était tout ^à fait difficile de: euh: pas de: enfin de passer cette = l[ e ]çon lui-même et cétéra = mais↑ enfin il voulait être quoi↑? ↑LA- FOR-CE ET- LA- PAIX↓ ah↑? vous vous vous vous rappelez ah↑? cette combinaison ce mélange de la force et de la paix que nous le voyons = c'est ça↑?
Une approbation de la question énoncée et de la personne choisie à y répondre.
Une déception d’une réponse trop brève.
Des approbations-encouragements.
Une approbation par le procédé d’aider à finir la phrase.
Une demande insistante de détailler la réponse adressée à tous à la fois.
Une approbation par reprise et demande de développer ses idées; il tend une perche sous forme d’une variante de réponse.
Une approbation.
Une satisfaction de la réponse et une incitation de la continuer. Finalement, l’enseignant achève la réponse lui-même, en se référant sur l’extrait du texte.

Ses interventions évaluatives de l’enseignant ont rassemblé, à tour de rôle, tous les quatre types d’interventions mentionnés par C. Carlo.461

L’exemple ci-dessus illustre que l’enseignant se charge de construire lui-même la logique des réponses: par l’intermédiaires des évaluations ponctuelles, il fait avancer le groupe dans leur cheminement collectif vers une réponse définitive à une question initialement posée. L’enseignant veille soigneusement au déroulement de la thématique planifiée. La part réservée à la parole de l’enseignant – y compris au cours des moments d’évaluation - est très importante, ce qui prouve une asymétrie prononcée des relations enseignant/apprenants lors de l’activité. Les apprenants restent réservés puisqu’ils sont gênés surtout au niveau du vocabulaire – le texte s’étant avéré assez compliqué pour eux - et de plus, ils ne sont pas passionnés du sujet, puisqu’ils ne sont plus des élèves et non pas encore des professeurs, et leur premier stage pédagogique aura lieu seulement dans deux ans.

Il est toutefois à dire que les apprenants prennent parfois des initiatives (voir le passage 113A – 138E)462, ce qui encourage des échanges pluridirectionnels, en s’écartant ainsi de l’échange strictement bilatéral enseignant/apprenants. Mais ici encore il s’agit d’une activité métacommunicative et non pas d’une véritable conversation.

Par sa manière d’évaluer, le professeur crée constamment une ambiance positive lors du travail: il est bienveillant, souriant, prêt à encourager.

Dans ce polylogue-ci, nous avons constaté que l’enseignant faisait bien soin du vocabulaire. Il rajustait et contrôlait les mots et les expressions utilisés par les étudiants en fonction des particularités linguistiques et culturelles des Français (voir surtout le dernier exemple mentionné ci-dessous):

101E   : comment↑ *patchiniatsa*↓ <s’adresse au groupe> soum- soum- soumettre se soumettre
102Ax: soumis = soumettre
103A8:   euh:
104E   : se soumettre à lui↓ hum↑? se soumettre à lui↓ hum↑? c’est ça ? ouai ouai
105A8   : se soumette à lui et: = <…>;
152A9: i:l il n'avait pas asse:z d d'expérance↑
153E: <INT>oui d'expérienced'expérience mhm</INT>
154A9: d'expérience <…>;
198A:
je pense que c'était s- euh: sa première stage↑
199E: oui sa première leçon↑ oui même mhm == mhm mhm mhm <…>. ’

L’enseignant s’est chargé d’amener progressivement le style de parole de ses apprenants à celui des Français natifs, pour qu’ils commencent à exprimer leurs idées d’une façon plus authentique, tout en ayant un comportement naturel.

C’est vrai que pour l’enseignant non natif travaillant dans une situation exolingue, il est difficile de réaliser pleinement cette tâche: sa propre parole est émaillée des « nuances » caractéristiques pour les russophones, en ce qui concerne le langage même et le comportement paralangagier et extralangagier. Son oral en français est une interlangue de haut niveau. De petites erreurs qu’il commet parfois par mégarde et qu’il corrige sur-le-champ, le prouvent:

199E: <…> elle n'offensait pas personne↑? elle n'offensait personne↑? <…>.

Nous apprécions néanmoins sa façon ludique de surveiller le discours des apprenants, sans jamais rentrer dans des explications grammaticales et sans renvoyer à l’étudiant une image négative de lui-même. Notre enseignant préserve une ambiance positive et crée autant que c’est possible le naturel du polylogue dans une situation didactique.

Notes
460.

Page 363.

461.

Voir la page 241.

462.

Annexe 5, inter. 2.