1. 1. Les prises de contact

Les ouvertures des 13 interactions de deuxième et troisième années sont brèves et incluent les échanges de salutations et de ça va traditionnels, ce qui s’étend sur 1 au minimum (interaction 6 de troisième) ou 6 au maximum (interaction 5 de deuxième) tours de parole (A1 = apprenante 1, N = Nina, I = Irène):482

1A1: allô bonjour chère euh: chère amie comment ça va ? j'espère que tu vas bien ?
euh: je téléphone pour = pour te re- remercier pour euh: ton invitation euh: je suis très ^heureuse euh: de passer le temps euh: chez toi pendant mes vacances <…>;
1N: cent cinq trois quatre douze cinq[ã] j'écoute
2 I: sa[lut] Nina comment ça va ?
3N: ah ? je ne vous éc- j[e n]’entends pas parlez plus haut s'il vous plaît
4 I: Nina c'est #Irène bonjour
5N: ah: Irène bonjour comment ça va ?
6 I: très bien <…>.’

En général, toutes les interlocutrices de deuxième et de troisième années s’adressent l’une à l’autre par leurs prénoms francisés, seulement deux fois – en troisième année – nous constatons des adresses impersonnifiées du type chère amie - suivie d’une réaction sans prénom jusqu’à la fin du dialogue – ou le fait qu’une personne appelle son interlocutrice par le prénom Catherine, tandis que celle-ci ne se souci même pas de préciser à qui elle a affaire jusqu’à la fin de la communication, quoiqu’elles s’entendent au sujet de la prochaine rencontre chez ladite Catherine:483

1A1: allô bonjour chère euh: chère amie comment ça va ? j'espère que tu vas bien ?
euh: je téléphone pour = pour te re- remercier pour euh: ton invitation euh: je suis très ^heureuse euh: de passer le temps euh: chez toi pendant mes vacances
2A2: comment ? qu'est-ce que tu as dit ? je t'écoute mal répète encore une fois;
1A1: salut je veux parler avec Cath[e]rine
2A2: oui c'est moi
3A1: je suis très ^heureuse parce que tu m'aies invitée chez toi pour reposer pendant mes vacances
4A2: j'attends tr- très ma:l répète s s'il te plaît <…>.’

Remarquons en plus que le second exemple ci-dessus ne correspond pas à un échange réel dans le sens qu’il est impossible de s’adresse à une personne inconnue par salut. Il s’agit finalement d’une série de maladresses stylistiques d’usage commises à l’ouverture.

En revenant à nos exemples cités tout au début de ce chapitre,484 constatons simplement qu’un Français peut accuser d’égocentrisme autant la participante A1 (elle ne s’intéresse guère aux nouvelles de son interlocutrice, ne la laisse pas placer la parole, « déballe » immédiatement le but de son appel) que N et I des échanges « déréglés » (chacune parle sans entendre l’autre). De son côté, un Russe expliquera facilement les deux cas. A1 parle d’une manière « télégraphique » en économisant le temps dont chaque minute coûte cher si on appelle à l’étranger. Elle connaît mal des habitudes culturelles des Français, c’est pourquoi sa façon « brusque » d’entamer la conversation au téléphone gênera un natif. De leur côté, N et I reproduisent une mauvaise qualité de communication à longue distance fréquente encore pour les Russes. La plupart des dialogues reprennent d’ailleurs la même « difficulté ». Si nous jetons un coup d’œil sur les canevas de référence du LANCOM, nous y trouverons aussi les rappels dans chaque dialogue (V = Vincent, B = Bertrand):485

‘5V: ah est-ce que tu peux répéter j'entends pasbien ce que tu me dis;
4B: <…> mais tu peux répéter j'ai pas très bien compris;
5B: pardon est-ce que tu peux répéter s'il te plaît ?’

Par conséquent, nos étudiants auraient pu « calquer » ce comportement sur l’original, l’ayant amplifié en fonction des réalités russes.

Ce que nous avons trouvé gênant, c’est que les règles de politesse « à la française » ne sont pas bien respectées dans la majorité des dialogues transcrits. Nous parlons des échanges traditionnels de ça va. Même si ce n’est qu’une pure formalité, elle fait depuis longtemps parti des « distinctions » nationales des Français. Or c’est un rituel à suivre sans discuter si on prétend être considéré par ces derniers comme une personne bien élevée, de plus si on veut faire croire qu’au moins un des interactants est francophone. Nous avons trouvé seulement un dialogue parmi les 13 où tout est « comme il faut ». C’est l’ouverture de l’interaction 4 enregistrée par les étudiants de troisième année:486

1T: bonjour Cath[e]rine c'est Tania
2C: bonjour Tania comment ça va ?
3T: ça va et toi ?
4C: ça va bien merci <…>.’

Dans la plupart des cas, nous nous sommes heurtés à des politesses « unilatérales », lorsque une personne demande si ça va, et l’autre répond d’une manière affirmative sans se donner la peine de reposer la même question à son interlocutrice.

Les étudiants ne s’imaginent que schématiquement la manière d’entamer la conversation téléphonique avec un Français. Ce sont la situation exolingue d’apprentissage et l’origine russe de l’enseignant qui se trouvent à la base de ces « lapsus » repérés systématiquement chez les étudiants analysés de deuxième et troisième années.

Pour être objectifs, nous avons observé les mêmes « erreurs » dans nos dialogues de référence du LANCOM. Serait-ce parce que les jeunes natifs ne prêtent pas beaucoup d’attention aux rituels de politesse lors des interactions amicales ?.. Mais nous y avons au moins trouvé des marques d’authenticité sous formes de bribes, des constructions des phrases spécifiques à l’oral en français et d’un style familier (V = Vincent, N = Nicolas, B = Bertrand, M = Mathieu):487

3V:ah salut comment tu vas ? =
4N: ben ça va ça va euh = puis euh: je te remercie: de m'avoir invité euh = pour euh: = pendant les vacances là euh <…>;
3B: ah salut Mathieu comment ça va ?
4M: ça va bien ouais = ben: je te téléphone pa/rce que j'ai reçu ta lett/re et je voudrais te remercier pour l'invitation <…>.’

Malheureusement, chez les apprenants russes, les parties analogues de dialogues présentent plus de tension et sonnent souvent d’une manière assez artificielle, comme des refrains appris par cœur.

Notes
482.

Annexe 7: b), inter. 6; a), inter. 5.

483.

Annexe 7: b), inter. 6; a), inter. 6,7.

484.

Annexe 7: b), inter. 6; a), inter. 5.

485.

Annexe 10, seq nr =1, seq nr = 2, seq nr = 3.

486.

Annexe 7, b), inter. 4.

487.

Annexe 10, seq nr = 1, seq nr= 3.