1. 3. « Je dois finir la conversation »

La clôture de chaque simulation est initiée par la personne qui a également été à l’origine de son ouverture: dès que la seconde communicante proposait à son interlocutrice de venir la chercher à la gare dès son arrivée, celle-ci se pressait de terminer la conversation sous prétexte que cela coûtait cher; les communicantes se quittaient immédiatement. En voyons deux exemples tirés des enregistrements de deuxième année:499

8A: je dois finir la conversation je n[e] peux pas dépenser trop d'argent pour parler avec toi
9C: d'accord↓ salut↓
10A: à bientôt;
7A: <…> mais nous devons terminer notre conversation parce que ça coûte très cher pour moi
8I: d'accord à bientôt
9A: au revoir.’

Ce qui saute aux yeux immédiatement c’est un caractère directif (voir les passages mis en gras) et précipité de la clôture. Le je dois que nous avons mis en relief sera perçu par des Français comme maladroit, reflétant une posture de dominant, ce qui ne correspond aucunement à la nature de l’interaction amicale. Le deuxième exemple peut être considéré comme une sorte de pression sur l’autre: nous devons. Dans pratiquement tous les enregistrements de deuxième et troisième années, nous avons relevé ce même style. Nos étudiants ont simplement « traduit à la lettre » leurs habitudes en français, c’est-à-dire ils se sont comportés d’une manière leur étant familière. Pour eux, il ne s’agit pas d’être brusques, mais d’être précis et raisonnables au téléphone lorsqu’on communique à longue distance, puisque les coûts sont élevés par rapport aux revenus. Cela ne les empêche pas d’être généreux et accueillants, d’être de bons amis. C’est comme lorsqu’on envoie un télégramme, on ne peut pas transmettre par son intermédiaire toute une gamme de sentiments éprouvés pour une personne, on n’y dira que l’essentiel. Nos étudiants de deuxième et de troisième année n’ayant jamais côtoyé les Français, n’ont pas eu le moyen de s’approprier leurs particularités culturelles, y compris celles de politesse. Ceux qui travaillent dans l'enseignement du FLE sentent bien le poids culturel des conventions de contextualisation chez leurs apprenants de nationalités différentes.

Il est vrai que le paraverbal et le verbal sont intimement liés. Nous trouvons à peu près le même type de clôture dans une simulation similaire réalisée par des jeunes Français, mais le registre familier confirmé par le vocabulaire, la syntaxe et l’intonation à la fois, nous fait l’accepter sans se poser de questions sur un degré de son adéquation:500

10N: <…> euh: = bon il va falloir que je raccroche parce que: ça fait loin et puis comme le téléphone c'est cher
11V: bon et ben: à plus tard
12N: salut Vincent’

Nous y voyons en fait une certaine hésitation chez N au moment où il se prépare d’annoncer la fin de communication (10N), traduite par des moyens lexico-syntaxiques et intonatifs. On n’en observe pas chez les interactants russes: la clôture est annoncée brusquement sur un ton décidé; l’explication ultérieure n’est pas ressentie comme une excuse – comme on le perçoit dans les enregistrements des Français – mais comme une simple explication du geste: on n’y peut rien, il faut se quitter.

La clôture d’un autre dialogue réalisé par des apprenants russes de deuxième année contient quand même un mot de justification précédant l’annonce de la fin de communication; cette variante est la plus appropriée parmi les 5 transcrites:501

7E: <…> mais je m'excuse↑ je dois finir la conversation
8O: oui j'ai compris = à bientôt
9E: au r[e]voir’

Les clôtures des simulations téléphoniques de troisième année sont plus proches de la réalité. Nous voudrions en mettre en relief surtout deux:502

11A1: <…> eum: mais il vaut mieux que nous finissions de bavarder euh: parce qu'une minute de conversation coûte assez cher et c'est pourquoi je t'embrasse je te remercie encore une fois et à demain
12A2: euh au revoir;
5A1: euh: excuse-moi euh: je [ne] peux pas je [ne] peux plus parler et: la conversation de téléphone coûte cher pour le moment dans notre pays euh: alors au re- au revoir chère amie
6A2: au revoir.’

Les étudiantes russes de deuxième année se sont échangées de salut et d’à bientôt dans un seul dialogue sur cinq. Dans d’autres enregistrements, la communicante dominante (qui a initié l’échange) utilise à bientôt et son interlocutrice dit au revoir: on en conclut qu’elles illustrent des relations bien distantes, plus ressemblant à celles de simples connaissances et non pas à celles des amies. Le même style un peu réservé caractérise les clôtures chez les étudiants de troisième année; dans un dialogue, nous rencontrons même l’adresse chère amie qui apporte une nuance un peu fausse dans cette interaction:503

5A1: euh: excuse-moi euh: je [ne] peux pas je [ne] peux plus parler et: la conversation de téléphone coûte cher pour le moment dans notre pays euh: alors au re- au revoir chère amie
6A2: au revoir.’

Or la bonne maîtrise de la parole étrangère ne se limite pas à une simple oralisation de ses émotions et de ses pensées, mais consiste dans l’appropriation d’un art subtil d’exposer ces dernières de sorte qu’elles soient perçues et comprises par ses interlocuteurs – y compris par les natifs - d’une façon adéquate.

Notes
499.

Annexe 7, a), inter. 1 et 2.

500.

Annexe 10, seq nr = 1.

501.

Annexe 7, a), inter. 3.

502.

Annexe 7, b), inter. 2 et 6.

503.

Annexe 7, b), inter. 6.