En contrepoint des polylogues pédagogiques analysés dans le premier chapitre de la présente partie, examinons maintenant le dialogue dirigé (corpus 5, Annexe 6), basé sur le même support textuel et le même questionnaire que ces polylogues, mais enregistré dans d’autres conditions (corpus 1 et 2, Annexe 5).532
Faisons la première approche comparative des activités:
| Corpus | 1 et 2 | 5 |
| Type d’activité | polylogue pédagogique | dialogue dirigé |
| Type de séquence |
un compte rendu collectif d’un travail fait à la maison |
un contrôle immédiat de compréhension du texte parcouru |
| Milieu | hétéroglotte | homoglotte |
|
Situation |
exolingue (le niveau de l’enseignant ≠ celui des apprenants) bilingue, dans le cadre didactique | exolingue bilingue, en dehors de la situation didactique |
| Niveau de maîtrise du français | (éventuellement 7 ans de l’école secondaire +) 1 an de la faculté de langues de l’université | 5 ans de séjour et d’études secondaires en France |
Énumérons ci-dessous de principales caractéristiques communes et des particularités de chaque corpus:
| Traits communs | Différences |
| 1) le même principe d’organisation de l’activité (questions-réponses sur le texte); 2) le même encadrement textuel et le même questionnaire; 3) le même type d’interactants (les non natifs). |
1) différents types d’activité; 2) différents types de séquence à la suite de différentes façons de préparer l’activité: les apprenants l’ont fait la veille à la maison, le jeune homme se trouvant en dehors de la situation didactique a vite parcouru le texte, sans avoir eu le temps de réviser le questionnaire; 3) différence des conditions de maîtrise de la langue et des niveaux de français des participants des activités comparées 4) différentes situations – un apprentissage organisé/en dehors de la situation didactique; 5) différents milieux; 6) différents « dirigeants » des activités, 7) différents types de relations verticales et horizontales; 8) différent nombre de participants – activité groupale/dialogue. |
Finalement, il y a presque trois fois plus de variétés entre les deux types d’activités - basées néanmoins sur le même support textuel et le même questionnaire – que de similitudes. Les principales différences concernent la situation et le milieu de réalisation, aussi bien que le type de séquence enregistrée.
Nous avons vu que les polylogues pédagogiques se déroulent dans une situation didactique asymétrique (enseignant/apprenant) exolingue (le niveau de l’enseignant ≠ les niveaux des apprenants). Par ailleurs, le dialogue dirigé réunit à son sein deux types de relations, vue la dualité des personnages confrontés:533 d’une part, une relation horizontale proche (mère-fils) que les deux participants, surtout la mère – s’efforcent de rendre plus distante et officielle par l’intermédiaire des moyens verbaux et paraverbaux; d’autre part – une relation verticale asymétrique (enseignante-étudiant) qu’il est compliqué de préserver en dehors de la situation didactique, se trouvant côte à côté en vue des particularités de la procédure d’enregistrement par l’intermédiaire d’un magnétophone avec un microphone intégré. La mère persévère, malgré tout, à valider par sa façon de se comporter la catégorie de « professeur » et son fils accepte de jouer le rôle d’« apprenant ».534 Il arrive cependant que cette distribution de rôles définis préalablement soit suspendue à un moment, à la suite de l’oubli sur un objet à « didactiser ». Cet « oubli » provient généralement du fils-étudiant qui a la « compétence de catégorisation » moins développée que son interlocutrice. La mère-enseignante s’empresse alors de « rappeler son interlocuteur à l’ordre » par son ton, par de brèves suggestions de préserver l’ambiance. Le contexte est donc construit en permanence par des efforts réciproques des deux participants du dialogue.
L’expérience langagière et culturelle des apprenants de l’université russe se fonde généralement sur des sources théoriques et des relations avec leur enseignant non-natif. Le jeune homme du dialogue dirigé étant arrivé en France avec de faibles bases en anglais, a appris la langue et la culture du pays sur place, en fréquentant en même temps un lycée français.535
Enfin, les apprenants de l’université ont étudié le texte (en se servant de dictionnaire) à la maison et ont d’avance préparé - en gros - les réponses aux questions sur son contenu, ayant éventuellement pris des notes. Le jeune homme du dialogue dirigé a seulement parcouru le même texte une fois, sans dictionnaire; il n’a pas eu le temps de prendre les notes ni même lire le questionnaire avant l’enregistrement.
Le nombre de participants des polylogues pédagogiques ayant été plus important (11 apprenants et un enseignant) que celui du dialogue dirigé (un « étudiant » et une « enseignante »), leurs étendues sont aussi différentes: 41’26’’ enfermant 529 tours de parole et 15’29’’ réunissant 208 tours de parole – pour les deux polylogues pédagogiques, d’une part, et 10’21’’ réservés à 89 tours de parole du dialogue dirigé, d’autre part. Si la durée générale des interventions de l’enseignant dans les polylogues pédagogiques est plus importante que celle des apprenants - 63% dans le corpus 1 et 52,8% dans le corpus 2 -, dans le dialogue dirigé, l’« enseignante » a seulement 35,7% du temps de parole, la plupart du temps étant « prise » par les interventions de l’étudiant (64,3%).
Voir Introduction de la Troisième partie.
Revoir la page 260.
Voir les pages 223-224.
Revoir les pages 235-240.