3. 1. Une revue générale du corpus 5 (Annexe 6)

Voyons le tableau ci-dessous, où E correspond à l’enseignante et A au prénom du jeune homme – Alexandre:

Participants Quantité de tours de parole Durée totale des tours de parole
Remarques

E

43 (50,6%)

3’29’’ (35,7%)
, dont 8’’ = préambule, 62’’ = lecture des questions, commentaires métadiscursifs = 29’’, commentaires métalinguistiques = 24’’; le tour de parole le plus court = 1’’ et le plus long = 15’’ (préambule)

A

42 (49,4%)

6’17’’ (64,3%)
Le plus court tour de parole = 1’’ et le plus long = 53’’. Le recours à des synonymes, des mots à un double sens, des commentaires et des réflexions de l’ordre philosophique.
  85 (100%) 9’46’’ (100%)  

Le temps général des tours de parole de l’enregistrement est 9’46’’. Mais si nous procédons avec le chronomètre, le temps général s’avère être égal à 10’21’’. Cette différence de 35’’ est due à des intervalles de silence entre les tours de parole que nous n’avons pas pris en compte.

Il s’agit d’un dialogue dirigé, c’est pourquoi les interventions de ses participants se succèdent régulièrement: l’« enseignante » pose des questions, l’étudiant réagit et obtient à ce propos une évaluation laconique de la part de cette dernière – ainsi que parfois des interventions encourageantes intermédiaires - ou la voit passer immédiatement à la question suivante. Puisque ce n’est pas un cours, l’intervenante dominante se considère seulement dans l’obligation d’obtenir chaque fois des réponses plus ou moins développées. Elle s’écarte du sujet juste pour rappeler au jeune homme qu’il doit être plus sérieux ou pour le faire se corriger quand il s’agit d’une erreur évidente. C’était la mère-enseignante qui a été à l’origine de l’ouverture du dialogue et c’était également elle qui a initié sa clôture au moment voulu. C’est pourquoi, nous avons 43 tours de parole de l’enseignante contre 42 tours de l’étudiant.

Le rôle de l’interlocutrice dominante y est compliqué: elle tente en permanence de rappeler à son fils qu’ils entretiennent un dialogue officiel. Celui-ci a de la peine de s’y aligner, en dehors du contexte didactique: il rit fréquemment au milieu de la phrase, il plaisante au lieu de répondre sérieusement. Il y a un glissement permanent d’un type de relations à l’autre. Nous constatons une sorte de conflit entre l’obligation de mener un dialogue officiel et un réflexe naturel de se rapprocher. L’absence de contrat didactique et de l’enseignant agissant dans le cadre de ce contrat confère à la situation un caractère informel: l’interactante dominante s’efforce de préserver sa position haute et son interlocuteur ne se sent pas à l’aise dans la position basse lui étant en quelque sorte imposée.

Même du point de vue du temps durant lequel chaque interactant se prononce au cours de l’activité en question, nous concluons que le rôle du jeune homme dans le dialogue n’est pas négligeable. Il se manifeste pendant 6’17’’ au total et son interlocutrice – pendant seulement 3’29’’, ce qui est presque deux fois moins long que la durée des interventions du premier interactant: 64,3% contre 35,7% respectivement. Pratiquement 30% (62’’) des manifestations de l’interlocutrice dominante sont réservées à la lecture des questions du manuel. Son tour de parole le plus long est égal à 15’’; c’est un préambule suivi de l’énoncé de la première question à répondre. Le tour de parole le plus long de l’interlocuteur « dominé » s’étend sur 53’’ et représente une manifestation totalement spontanée. En effet, la parole du jeune homme est – malgré ses rires fréquents et perturbateurs – quantitativement et qualitativement représentative: il énonce ses points de vue, propose une série de synonymes pouvant caractériser un phénomène, joue sur un double sens des mots, se permet des commentaires et des réflexions d’ordre philosophique. Mais il est quand même « dominé » puisque c’est son interlocutrice qui choisit des questions à répondre et décide du moment à terminer le dialogue.

Nous avons divisé la présente interaction en composants identiques à ceux des polylogues pédagogiques, en partant de l’idée qu’il s’agit du même encadrement textuel, des mêmes types de relations (au moins des efforts de les préserver), du même éventail des questions proposées. En même temps, ce dialogue représentant la suite de l’étude d’un extrait de texte littéraire du manuel, il fait donc partie d’une activité plus vaste et il serait également logique de parler non pas d’une séquence d’ouverture mais du préambule. Ensuite, nous avons identifié – comme dans les polylogues pédagogiques – deux phases successives (travail sur le questionnaire du manuel, discussion sur le vécu) se terminant par une phase de clôture.

Nous y avons constaté une certaine « douceur » (smooth) de passages entre les questions, conférant du naturel au dialogue en général.536 On sent un contact des interactants en tant que personnes, leurs efforts mutuels d’amener à bien l’activité, une certaine complicité même au niveau prosodique. Ce phénomène est moins présent dans les polylogues pédagogiques ci-dessus, où l’enseignant peut suspendre une question, faute de temps, et exiger le passage immédiat à la question suivante.

Notes
536.

Cf. les pages 240-241.