3. 4. La même question interprétée de trois façons

Confrontons trois variantes de réponses à la même question, tirées des trois corpus examinés:545

Corpus 1 Corpus 2 Corpus 5
62E   : <…> bon = à la sixième↑?
63A2: de quelle façon
64E: bon
65A2 : le jeune professeur a-t-il commencé sa première leçon ?
66E: mhm = de quelle façon↑ il a: euh: il a commencé sa première leçon ? =
eh bien = ↑voulez-vous poser la question↑? mhm Anne↑ = posez la question↑ = ↑à qui↓?
67A2: de quelle façon le jeune
68E: oui↓ c'est ça↓ donc↑
69A2: ah comme d’habitude XXXXXXXX
70E: alors voilà↑
71A2: il les regardait lent[e]ment↑ leurs petites #âmes étaient encore pleines de sable des plages et de: l'odeur de men- de ma- de menthe des montagnes ===
72E: mhm == eh bien↑ peut-être il y a des personnes↑ qui vont ^ajouter↑ = quelqu[e] chose↑? rien↑ ?
26E: mhm<tout bas>eh bien↑ = c'est tout↑?
27A1: <elle toussote> de quelle façon le jeune professeur a-t il commencé sa première = l[ e ]çon↓? =
28E: bon qui ? =
29A1:Valentine↑
30E:Valentine↑ = mhm s'il vous plaît Valentine = bon une minute
31A:pour commencer
32E   : <INT> bon une minute c'est ça puisque quand même c'est très très loin ah bon = allez-^y </INT>
33A6: et pour commencer cette l[e]çon il frappai[ε] dans ses dans ses mains↓ le geste lui a paru bien classique mais il: <elle toussote> n'en pas trouvai[ε] d'autre
34E   : <INT> mhm </INT>
35A6   : il a dit↑ allons en rangs↓
36E   : <INT> mhm </INT>
37A6   : c'est tout <tout bas>
38E: voilà
eh bien Olga↑ c'est vrai↑? c'est juste↑?
39A1: dans quelle in- =
40E   : <INT> mhm </INT>
41A1: tention la le jeune professeur a-t-il demandé qui était le premier en dessin↓?
42E   : mhm dans quelle intention↑? quelle était l'intention↑?
21E: euh: de quelle façon le jeune professeur a-t-il commencé sa première l[ e ]çon ? quel était le but de ses ^invention:s pédagogiques ?
22A: il a: vou:- il a interrogé un élève de la classe qui était e:t  l’a d[e]mand- euh : <enfin il a interrogé toute la classe mais un élève s’est présenté pa[r]ce que sa question était quel était quel était présentait comme: comme: qui est le meilleur en dessin eum:> alors un garçon s’est levé il a dit que je suis meilleur en dessin il s’est il l’a fait venir il a dit inscris-moi = dans les sur les triangles de noms des ^é- les noms de tes ^élèves =
23E: quel était le but de ses ^invention:s pédagogiques ?
24A: il a voulu: euh affirmer son autorité de telle façon↓et qu’é- et de: é- et il a voulu il a voulu étonner les ^enfants = pour qu’ils euh: le respectent et l’obéissent pour qu’il soit leur m- leur maître <il sourit>

Nous constatons que le travail sur la même question – à partir de sa formulation jusqu’à la fin de la réponse/intervention évaluative – a pris un nombre varié de tours de parole plus ou moins étendus au sein des trois corpus: les deux polylogues pédagogiques en ont utilisé à peu près la même quantité - 10 et 12 tours respectivement -, dont un tour du corpus 2 est entièrement consacré au réglage d’un problème technique, tandis que le dialogue dirigé n’en a eu besoin que de 4, mais dont chacun est plus vaste que ceux des polylogues.

Nous voyons que pour aborder la même question, on a eu besoin dans le corpus 1 d’échanger antérieurement 62 tours et dans le corpus 5 – 26. Le troisième résultat – celui du corpus 5 – est plus proche du corpus 2: la question qui nous intéresse a été entamée après 20 tours de parole préalables. Dans le premier et le troisième cas, l’initiative de poser la question provient de l’enseignant/la personne dominante, tandis que dans le corpus 2, c’est l’apprenante désignée par l’enseignant qui décide de le faire, en interprétant la réaction de ce dernier e h bien↑ = c'est tout↑? comme son souhait d’avancer. Mais finalement, dans les trois enregistrements, une réelle direction des interactions vient – nous le remarquons – de l’enseignant/la personne dominante. Dans le corpus 2, l’enseignant semble moins contrôler la nature des questions énoncées, puisque, selon toute évidence, il en a discuté préalablement avec l’apprenante protagoniste. Par ailleurs, dans les deux polylogues pédagogiques, il dirige de près le moment du choix des interactants prêts à répondre. En ce faisant, l’enseignant s’efforce de respecter l’opinion de ses co-dirigeantes. Dans le polylogue 1, il approuve la question énoncée en la reprenant et ensuite insiste auprès de l’étudiante dominante qu’elle se charge de l’adresser à une personne concrète. Mais celle-ci donne une interprétation erronée à sa consigne et relit la question. C’est seulement après un échange métadiscursif qu’ils retrouvent la compréhension mutuelle. En fin de compte, seulement un tour de parole est spécialement réservé à la réponse et encore celle-ci s’avère incorrecte: la jeune fille commence par un passage du texte indéterminé et s’arrête là. D’autres interactants du groupe ne s’en mêlant point, la question reste sans une réponse appropriée.

Dans le corpus 2, trois échanges dont les tours sont plus ou moins étendus – l’enseignant emploie seulement deux fois ses mhm d’approbation -, sont réservés proprement à la réponse (33A6-38E), le troisième échange étant évaluateur: l’apprenante signale qu’elle a terminé et l’enseignant propose à l’étudiante protagoniste de donner son avis sur ce qui est dit. Mais celle-ci énonce la question suivante – toujours ce problème de comprendre la consigne ! – et l’enseignant accepte sur-le-champ ce tournant de l’interaction, en se réorganisant à chaud (39A1-42E): l’essentiel est que le polylogue avance. Finalement, la question n’est épuisée qu’à moitié, l’apprenante reproduit les phrases du texte. Ici, comme dans le corpus précédent, au cours de la réponse, on ne se trouve pas en présence d’une construction progressive de l’énoncé, puisque la jeune fille s’appuie sur des phrases du manuel.

Le jeune homme du corpus 5, lui, ne parle pas d’après un support écrit, il réfléchit en énonçant ses propres idées. Nous observons des reformulations, des rectifications, des bouts de phrases inachevées interrompus par des commentaires (voir dans la colonne droite du tableau ci-dessus les passages en condensé). L’interactant interprète le contenu du texte à sa façon:

22A: <…> alors un garçon s’est levé il a dit que je suis meilleur en dessin il s’est il l’a fait venir il a dit inscris-moi = dans les sur les triangles de noms des ^é- les noms de tes ^élèves = <…>.’

On voit qu’il travaille sur ses énoncés, en cherchant un terme ou une expression lui paraissant la meilleure et lorsqu’il aboutit finalement, il est presque fier de sa « création » (d’où ce sourire malin à la fin) (24A). Durant sa réponse, la dirigeante du dialogue intervient au minimum – uniquement pour préciser la formulation de la question. D’ailleurs, il a été le seul des trois participants des corpus qui a répondu à la deuxième partie de cette question, selon sa propre perception.

Nous déduisons de tout cela que dans les corpus 1 et 2, les productions des apprenants se trouvant dans une situation exolingue sont moins personnelles et moins convaincantes que celles de l’interactant du corpus 5 situé dans une situation endolingue. En même temps, le comportement de la dirigeante de la dernière interaction est moins « pressant » et autoritaire que celui de son homologue des deux polylogues pédagogiques; le jeune homme du corpus 5 prend plaisir de s’exprimer et d’énoncer ses idées à lui, sans se murer dans des silences prolongés. C’est ce qui oppose les activités réalisées dans des milieux différents.

Les trois corpus sont basés sur le même questionnaire du manuel,546 mais – nous l’avons déjà remarqué - le choix des questions ainsi que leur nombre total varient légèrement d’un corpus à l’autre. Le corps de l’interaction du corpus 1 contient 17 questions et leurs réponses, dont 14 sont formulées d’après le questionnaire du manuel. Le corpus 2 en réunit 11, dont 10 proviennent du questionnaire. Enfin, le troisième corps de l’interaction a rassemblé 9 questions du manuel et 3 concernant le vécu de l’interactant. La personne dirigeant le dialogue en dehors de la situation didactique a également posé des questions de nature « psychologique » qui ont été exclues des activités pédagogiques. Par exemple, la question 5: Décrivez avec le maximum de détails possible l’apparition des élèves et le comportement du professeur à ce moment. Commentez et expliquez sa conduite du point de vue psychologique. 547 Partout, le jeune homme s’est bien débrouillé, ayant trouvé des termes appropriés et des arguments indispensables. Parfois, son humeur un peu trop « décontractée » lui fait interrompre des énoncés, mais chaque fois, il les achève d’une manière satisfaisante. Dans l’ensemble, c’est ce corpus 5 qui contient les réponses les plus exhaustives et les plus intéressantes du point de vue du contenu et des moyens lexico-syntaxiques utilisés.

Notes
545.

Annexe 5, inter. 1 et 2 et Annexe 6.

546.

BAGDASSARIAN M. A., PAPKO M. L. et TARASSOVA A. N., Le Français..., op. cité, p.p. 201-202.

547.

BAGDASSARIAN M. A., PAPKO M. L. et TARASSOVA A. N., Le Français..., op. cité, p. 201.