3. 7. Caractéristique comparative des fonctions et des types de manifestations formant l’agir de l’enseignant/la personne dominante dans les corpus 1, 2 et 5

Nous avons spécifié ci-dessus les différences entre les polylogues pédagogiques et notre dialogue dirigé, du point de vue de leurs milieux et situations du déroulement respectifs.557 D’une part, nous avons l’enseignant lié avec ses apprenants par un contrat didactique et d’autre part, une personne « faisant enseignante » en dehors du contexte didactique.

Établissons un bilan de l’agir de cette dernière, en le comparant avec ceux des polylogues pédagogiques.558

Premièrement, passons en revue les trois fonctions que remplit l’interlocutrice dominante du dialogue dirigé jouant le rôle de l’enseignante.559

Nous avons 3’29’’ réservées, au total, à sa parole. Ceci comprend:

Fonctions de l’agir de l’interactante dominante Nombre de manifestations, et en % Manifestation la plus courte-la plus longue Temps général réservé à chaque fonction, et en %
organisatrice 31 = 58,5% 1’’-14’’ 2’35’’ = 74,2%
évaluative 20 = 37,7% 1’’-5’’ 41’’ = 19,6%
informative 2 = 3,8% 5’’-8’’ 13’’ = 6,2%
  53 = 100%   3’29’’ = 100%

Il s’avère que du point de vue de la fréquence et du temps réservé à telle ou telle fonction, c’est celle organisatrice qui prédomine largement chez l’interactante dominante dans le dialogue analysé. Cela peut être expliqué par le fait que même en dehors du contexte didactique, la mère-enseignante fait constamment de son mieux pour « orienter » le discours de son fils-étudiant dans le cadre « pré-planifié » déterminé par le contenu de l’extrait et le questionnaire s’y rapportant. Dans les deux polylogues pédagogiques, nous retrouvons la même image en ce qui concerne le temps général réservé à la fonction organisatrice, mais celle-ci cède au profit de la fonction évaluative du point de vue du nombre de ses manifestations,560 ce qui s’explique par le fait que l’enseignant a dû intervenir plusieurs fois pour soutenir ou corriger les interactants; dans le dialogue dirigé, l’interlocutrice « faisant enseignante » n’a pas besoin de faire tout cela: son fils-étudiant a un bon niveau de français et répond sans hésiter. La fonction informative détenant la place la plus modeste dans les trois corpus est le moins présente dans le dialogue dirigé, ce qui prouve une fois de plus un niveau suffisant de français du jeune homme.

Un quart du temps général de la parole de l’interactante dominante dans le dialogue dirigé (23,9%) est « occupé » par des formulations des questions sur le texte; dans les dialogues pédagogiques ce rôle revenait aux étudiantes protagonistes.

Ce sont des manifestations visant le déroulement de la thématique planifiée qui prédominent chez l’interlocutrice « faisant enseignante », à travers tout le dialogue.

Par exemple, en examinant la fonction organisatrice exécutée par cette dernière, nous avons abouti à un bilan suivant:561

Types de manifestations de l’enseignante
organisatrice
Nombre de manifestations, et en % Manifestation la plus courte-la plus longue Temps général réservé à chaque type de manifestations, et en %
visant le déroulement de la thématique planifiée
28 = 90%

1’’-14’’

2’27’’ = 97%
visant la facilitation du traitement de l’input - - -
visant l’établissement et la gestion du lien communicatif
3 = 10%

1’’-2’’

5’’= 3%
explicitement focalisées sur le code - - -
  31 = 100 %   2’32’’ = 100 %

Dans les polylogues pédagogiques, la priorité a été chaque fois réservée, du point de vue du nombre des manifestations, à celles centrées sur l’établissement de la gestion du lien communicatif, puisque dans le cadre de salle d’études, l’enseignant est obligé d’appliquer des efforts pour maintenir l’intérêt de chacun envers l’activité; tandis que dans notre dialogue dirigé, un lien communicatif assez étroit entre la mère et son fils dérangerait plutôt la centration sur le sujet. Les maximums de temps et de nombre de manifestations y sont ainsi consacrés au déroulement de la thématique planifiée. En comparant ce résultat avec les données analogues du tableau récapitulatif concernant le polylogue 2,562 par exemple, nous voyons que là-bas, l’enseignant a accordé une nette priorité à la gestion du lien communicatif avec ses apprenants, dans le but d’en faire profiter la thématique même.

Si l’enseignant organisateur des polylogues ne s’est explicitement focalisé sur le code que le minimum du temps, les manifestations analogues – de même que celles visant la facilitation du traitement de l’input - sont totalement absentes de la fonction organisatrice de l’interactante se catégorisant comme enseignante, suite à une entente parfaite des deux interlocuteurs et à un bon niveau de français du jeune homme.

Si nous passons maintenant en revue les manifestations spécifiées par C. Carlo pour examiner la fonction évaluative exécutée par l’interactante dominante de notre dialogue dirigé, nous constaterons toujours la centration absolue de celle-ci sur le déroulement de la thématique planifiée, un tiers du nombre général des manifestations évaluatives explicitement focalisé cette fois sur le code – dans le but de rajuster les savoirs de l’interactant catégorisé comme apprenant – tout en « négligeant » la facilitation du traitement de l’input et la gestion du lien communicatif, pour des raisons expliquées ci-dessus:

Types de manifestations de l’enseignante
évaluatrice
Nombre de manifestations, et en % Manifestation la plus courte-la plus longue Temps général réservé à chaque type de manifestations, et en %
visant le déroulement de la thématique planifiée
14 = 70%

1’’-7’’

24’’ = 59%
visant la facilitation du traitement de l’input - - -
visant l’établissement et la gestion du lien communicatif
-

-

-
explicitement focalisées sur le code 6 = 30% 1’’-5’’ 17’’ = 41%
  20 = 100 %   41’’ = 100 %

La manière d’évaluer de l’interactante se catégorisant comme enseignante est souvent brève ou même implicite: après avoir entendu la réponse de son interlocuteur, elle énonce immédiatement la question suivante, ce qui signifie qu’elle a accepté la variante de réponse.563 Si cette dernière n’est pas exhaustive, l’interactante dominante peut tout simplement reprendre la partie de la question nécessitant d’être éclaircie davantage, sans s’occuper de faciliter le traitement de l’input (voir l’Annexe 6, 21E-24A), ce qui a été systématiquement pratiqué par notre enseignant dirigeant les polylogues pédagogiques. Dans les polylogues pédagogiques, nous l’avons vu, l’évaluation pratiquée par l’enseignant est plus détaillée, puisque les interactions se déroulent dans une situation exolingue hétéroglotte, dans le cadre d’un contrat didactique.

En ce qui concerne l’autoévaluation, le jeune homme du dialogue dirigé maîtrise généralement bien cette faculté: en construisant progressivement ses phrases, il cherche les termes et les constructions qui conviennent le mieux. En se trouvant dans un milieu homoglotte, il a une importante « marge de manœuvre », dans ce sens. D’autre part, n’étant pas lié avec son interlocutrice par un contrat didactique, il ne ressent pas cette asymétrie de relations qui rend passifs nos apprenants de l’université.

La manière de parler de la personne russophone « faisant enseignante » reste néanmoins parfois proche de l’interlangue. Par exemple, elle utilise les mhm pour des évaluations intermédiaires, aussi bien que son collègue universitaire (par exemple, Annexe 6, 17E et 19E).

Peu de place que l’enseignante-mère réserve dans le dialogue dirigé à la fonction informative est distribuée de la même façon:

Types de manifestations de l’enseignante
évaluatrice
Nombre de manifestations, et en % Manifestation la plus courte-la plus longue Temps général réservé à chaque type de manifestations, et en %
visant le déroulement de la thématique planifiée
1 = 50 %

8’’

8’’ = 62%
visant la facilitation du traitement de l’input - - -
visant l’établissement et la gestion du lien communicatif
-

-

-
explicitement focalisées sur le code 1 = 50% 5’’ 5’’ = 38%
  2 = 100 %   13’’ = 100 %

Bref, la gestion de la thématique planifiée détient la priorité dans tous les cas.

Il est également à remarquer que le sujet discuté est plus familier à l’interactant du corpus 5, se trouvant dans un milieu homoglotte, vivant sa scolarité en France même. Il relie facilement le contenu littéraire avec la réalité moderne qui l’entoure au quotidien. De ce fait, le dialogue a ce naturel qui lui redonne du charme et du dynamisme.

Notes
557.

Voir les pages 408-410.

558.

Cf. les pages 275, 306-308, 323-325, 340-342, 344, 360-361, 3667-368, 371-379.

559.

Revoir les pages 219-222.

560.

Cf. les données des tableaux dans les pages 278 et 346.

561.

Cf. les tableaux dans les pages 307 et 361.

562.

La page 361.

563.

Voir l’Annexe 6.