Conclusion méthodologique

Nous avons apporté dans l'étude notre contribution « matérielle » à la mesure de nos forces, ayant enregistré des polylogues pédagogiques et des simulations réalisés par de jeunes Russes.601 En comparant ces données entre elles et aux transcriptions du corpus LANCOM (malheureusement, nous ne disposions pas d’enregistrements de ces dialogues, qui auraient permis de faire des analyses plus détaillées, surtout en ce qui concerne les composants paraverbaux de l'interaction), nous avons pu tirer certaines conclusions concernant le perfectionnement de l'enseignement/apprentissage de l’oral en français aux étudiants de deuxième - et en partie de troisième - année.

Tout au long de notre étude, notre expérience pratique de l'enseignement du FLE aux étudiants russes de l'université nous a servi d'appui et de « catalyseur », nous permettant de vérifier les postulats avancés, de prouver ou de contester un point de vue important. D'autre part, les entretiens programmés avec Le Professeur Robert Bouchard et ses séminaires ont permis de nous faire des idées modernes sur les problèmes de la didactique des langues.

Les travaux résumés par nous en deuxième partie de la présente étude ont guidé nos recherches.

L’analyse des échanges verbaux a permis de montrer, en détail, des comportements langagiers des étudiants en groupe de langue et le fonctionnement du discours pédagogique, de déceler les fonctions langagières multiples à l’origine du déroulement des échanges et de mettre en évidence différents rôles de l’enseignant et des apprenants.

Après avoir comparé les dialogues (polylogues ou simulations) en groupe de langue étrangère avec des échanges se déroulant en dehors de la situation didactique, nous avons constaté que le caractère fondamental de ces premiers est d’être presque totalement déterminés par leurs conditions de production. Il s’agit d’échanges totalement imposés: c’est l’Institution qui choisit le lieu et le moment de leur déroulement, l’enseignant, les méthodes employées et même les partenaires. Elle décide aussi des formes d’évaluation et de certification, ce qui pèse un poids non négligeable sur l’ensemble de l’activité pédagogique. En même temps, le contrat didactique est réversible et peut être modifié « à chaud ».

Il s’agit donc d’un type d’apprentissage exclusivement formel, l’acquisition informelle étant sporadique, liée à des rencontres occasionnelles avec des locuteurs francophones venus dans le pays ou – ce qui est encore plus rare parce que très coûteux – croisés lors d’un séjour de l’apprenant russe en France. Il reste des œuvres de la littérature classique ou moderne ou certains journaux et revues en français, ce qui ne représente que faiblement la parole authentique, l’écrit et l’oral étant deux univers d’expression différents.

Certaines habitudes des étudiants étrangers concernant leur manière de construire les phrases sont facilement explicables par l'effet de l'enseignement même et les supports écrits (manuels) utilisés. Nous avons partagé le point de vue des auteurs du corpus LANCOM, que les apprenants étrangers parlent souvent « plus du bon français » que du « vrai français ».602

Parmi les moyens paralinguistiques, c'est surtout l'intonation et le rythme de la phrase française que les apprenants russes ont de la peine à maîtriser parfaitement. Nous l’avons surtout vu au fil de nos analyses comparatives des polylogues pédagogiques et d’un dialogue dirigé.

Nous n’avons malheureusement pas été en mesure d’examiner des moyens para- et non-verbaux régissant nos échantillons analysés, puisqu’il s’agissait des enregistrements audio.

Le concept du naturel didactique que nous mettons en avant dans le présent travail n’exclut nullement le rôle de l’enseignant comme organisateur du processus d’apprentissage, mais sous-entend que cette organisation doit être plus fiable et « intelligente »: par exemple, les apprenants sont censés émettre leurs propres hypothèses interlinguistiques à base des données de l’input compréhensible.603

Il est important de ne pas dévaloriser le rôle et la complexité du dialogue métacommunicatif, qui est l’aspect le plus fondamental de l’acte éducatif. En fait, on peut tout aussi bien considérer que c’est la métacommunication qui constitue, à bien des égards, le moment le plus authentique de la classe de langue étrangère. Si on admet que la classe de langue représente, au mieux, un perpétuel terrain d’entraînement pour des opérations qui ne se réalisent jamais qu’ailleurs, pourquoi ne pas reconnaître dès lors que c’est en métacommuniquant que l’apprenant explicite son parcours de formation, appelle à l’aide, et consolide ses certitudes, et que c’est aussi par ce dialogue que l’enseignant observe et intervient ? En fin de compte, c’est en ce lieu que se réalise le lien entre enseignement et apprentissage.604

En même temps, si l’enseignement est fondé sur l’étude raisonnée de la langue où il s’agit plus de parler de la langue que de la manipuler et où priment les exercices écrits, alors le jeune apprenant risque d’être déçu et de montrer peu d’aptitudes à l’apprentissage de la langue étrangère. En revanche, si la salle de classe est organisée comme un groupe social où les relations interindividuelles permettent de créer une ambiance de confiance dans laquelle chacun trouve sa place, il se peut que l’apprenant ose prendre la parole et se tromper pour essayer de communiquer convenablement en langue étrangère. On lui proposera très certainement des activités à travers lesquelles il appréhendera la culture du peuple dont la langue qu’il souhaite apprendre, quelles que soient ses motivations.605 Il est à privilégier une langue utile et efficace: la conjugaison est au service de ce que l’individu a à dire; il s’établit un lien entre ce qu’il a à exprimer (par exemple la surprise) et une forme d’expression linguistique (le subjonctif présent). Notre capacité humaine d’adaptation nous donne la possibilité de toujours choisir l’efficacité au détriment de la complexité. Cela signifie que, si on demande à un apprenant de s’exprimer sur un sujet, il utilisera les formes d’expression linguistiques qui lui seront les plus familières et donc qui lui demandent un coût cognitif moindre.606 En « revenant à nos moutons », c’est-à-dire à nos polylogues pédagogiques, postulons que ce n’est pas parce qu’un apprenant ne restitue pas une forme d’expression linguistique qu’il ne la connaît pas.

Affirmons maintenant, après R. Bouchard, que la responsabilité didactique de l’enseignant est de favoriser l’apprentissage simultané de l’ensemble des étudiants.607

La classe de langue étrangère a traditionnellement une double fonction: on y enseigne et apprend une langue étrangère, de même qu’on y crée des conditions favorisant une expression de la subjectivité des apprenants, de leurs opinions, de leur vécu. Il est à trouver les moyens de rendre l’ambiance d’apprentissage détendue. Ceci atténuera une relation trop hiérarchisée d’enseignant-apprenants et par conséquent « débouchera » sur des productions verbales plus riches. L’enseignant doit systématiquement montrer à ses étudiants qu’il les considère comme ses partenaires dans la construction du savoir .

Le contexte joue un rôle fondamental dans la valeur que peuvent prendre, du point de vue de la construction de la relation interpersonnelle, les différentes activités langagières observables .

En élargissant l’idée de M. Dreyfus sur la classe,608 nous voulons affirmer que le groupe d’apprentissage à l’université peut aussi être considéré « en tant qu’espace socialement et culturellement situé », ce qui exige une articulation des données sociolinguistiques et interactionnelles et du projet didactique.

Le rôle de l’enseignant consiste, à notre avis, d’assurer des relations adaptées au cadre institutionnel, permettant de vrais échanges à un niveau de distance régulée, éventuellement des improvisations spontanées au sein du sujet.

Le développement de la société exige un développement permanent des méthodes d'enseignement/apprentissage des langues vivantes, leur perfectionnement ultérieur. A l’heure actuelle, lorsqu’un passage de l’approche communicative à la perspective actionnelle a lieu, on ne peut plus se contenter de former un « étranger de passage » capable de communiquer dans des situations attendues. On a pour mission d’aider un apprenant à devenir un utilisateur efficace de la langue, un citoyen européen à même de s’intégrer dans un autre pays.

L’enseignant de FLE ne peut plus prétendre « offrir un accès à l’universel » par l’intermédiaire de la langue française envisagée comme porteuse d’une mission de civilisation, mais plus sereinement et en tant qu’enseignant de langue-culture, il doit tenter de donner accès à un univers discursif pluriculturel, celui de la francophonie, et au mieux de conscientiser les sujets quant à la diversité des accès à l’universel représentés par les diverses cultures. L’enseignant-médiateur se démarque aussi de la fonction médiatrice de l’ambassadeur. Sa légitimité, dont il doit désormais rendre compte, se fonde tout autant sur l’autorité d’une expertise en langue-culture cible que sur ses compétences professionnelles, que, natif ou non, il ne pourra asseoir que sur une reconnaissance contrôlée et une distanciation critique vis-à-vis de ses propres appartenances culturelles.

Les résultats de notre recherche serviront, nous l’espérons, de source d’inspiration aux enseignants de FLE dans leur travail avec des étudiants des universités pédagogiques, mais aussi comme point d’appui pour des recherches ultérieures concernant la didactique de l’enseignement/apprentissage de l’oral en français aux jeunes adultes russophones en France et en Russie.

Nos investigations seront également utiles, à notre avis, pour les spécialistes et chercheurs s’intéressant à l’enseignement du FLE en Russie et dont le rôle est de promouvoir la langue et la culture françaises, de remonter leur prestige, de donner aux gens l’envie d’apprendre à bien communiquer en français. Cela est particulièrement vrai dans la mesure où ce travail se propose d’apporter des explications et probablement des solutions aux problèmes qui empêchent les apprenants d’exprimer leurs pensées, leurs points de vue d’une manière appropriée et de comprendre sans difficulté leur interlocuteur natif.

Notes
601.

Voir la Troisième partie. Introduction. Caractéristique des données.

602.

Voir la Première partie du présent travail.

603.

PALLOTTI G., « La Classe … », op. cité, p.181.

604.

DABÈNE L., « Communication et métacommunication … », op. cité, p.p.137-138.

605.

SPANGHERO-GAILLARD N.,« La Psychologie appliquée…», op. cité, p.p.22-23.

606.

CHANQUOY L., TRICOT A. et SWELLER J., La Charge cognitive, Paris, Armand Colin, 2007.

607.

BOUCHARD R., « Les Interactions pédagogiques comme polylogues », op. cité.

608.

DREYFUS M.,« La Place de l’oral dans les discours des enseignants… », op. cité, p.p. 181-191.