Partie 1
Contexte de rencontre entre l’école publique et l’éducation spécialisée au Brésil

Chapitre 1
Brève histoire de l’école publique au Brésil

1. Evolution de l’école publique

Plus de trois siècles de colonisation ont laissé des marques importantes dans le développement du système scolaire brésilien. Contrairement au processus d’expansion espagnol, avant de se former dans les universités portugaises, l’élite coloniale recevait l’enseignement des Jésuites, venant à exercer virtuellement le monopole de l’éducation durant les deux premiers siècles de la colonisation (Saviani, 2007 : p. 41). Avec l’expulsion, en 1759, des Jésuites, c’est toute la structure administrative de l’enseignement qui se trouve démantelée.

Au XIX° siècle, le Brésil était une société essentiellement rurale, sous la domination d’un empire centralisé, qui tentait d’adopter les modèles des Etats nationaux européens, mais sans avoir les ressources nécessaires pour intégrer la population appauvrie de ses lointaines provinces, où les profits des cycles économiques du sucre et de l’or s’étaient depuis longtemps épuisés.

Si, bien sûr, le poids de la colonisation se fait sentir au travers inégalités scolaires qu’a connu - et connaît encore - le Brésil, les divers types de gouvernement qui ont succédé à l’Indépendance du pays, que ce soit la Première République ou la période dictatoriale, n’ont aucunement contribué à la réduction de ces disparités. Au contraire, l’éloignement de l’école de la majeure partie de la population et la très lente progression des effectifs scolarisés de l’enseignement primaire ou secondaire se sont constituées en stratégie politique élitiste.

C’est l’intensification du capitalisme industriel au Brésil, surtout à partir de la Révolution de 1930, qui a déterminé l’émergence de nouvelles exigences éducationnelles dans une ambiance socio-politique chargée de tensions contradictoires. Ainsi que l’explique Romanelli (1985, p. 60) :

‘La forme selon laquelle s’est installé le régime républicain au Brésil et se sont conduites au pouvoir les élites, ne modifiant en rien la structure socio-économique, a influencé de telle sorte que, d’un côté, il n’y a pas eu de pression en termes de demande sociale d’éducation et, de l’autre, l’offre ne s’est pas amplifiée, ni même qu’on puisse noter un réel intérêt pour l’éducation publique, universelle et gratuite. ’

Mais, en même temps, la Révolution de 30, résultant d’une crise que venait de loin, détruisant le monopole des vieilles oligarchies, a favorisé la création des conditions d’implantation du capitalisme industriel et, avec lui, la modification du niveau d’aspiration en termes d’éducation scolaire de la part de la population brésilienne.

Si la Constitution qui naquit de “l’État Nouveau“ (Estado Novo) reconnaît le droit à l’éducation de base pour tous, par le biais de la création du premier Ministère de l’Education et de la Santé du Brésil, en 1931, les dirigeants, stimulés par les “Seigneurs de la terre“ et leurs fils, établis dans les grandes villes en vue d’occuper les fonctions de décision du pays, ont adoptés e favorisés des mesures éducationnelles, des procédures sélectives, dans l’enseignement primaire, qui limitèrent l’accès à ce droit.

Avant d’aborder les problématiques de l’école publique de la seconde partie du XX° siècle, il paraît important de mettre en perspective la nationalisation de l’éducation scolaire publique avec l’émergence, pour la première fois, de l’idée de nation brésilienne. Ainsi, durant l’ère Vargas, c’est l’articulation de l’Etat et de l’Education qui va permettre la constitution de ce fond culturel commun sur lequel peut s’asseoir l’idée de nation et d’Etat fort et centralisateur.

Les années que suivent la Révolution de 1930 furent marquées par le mouvement de l’Ecole Nouvelle qui diffuse, en mars 1932, le célèbre Manifeste des Pionniers de l’Education Nouvelle. Celui-ci prône, en effet, le droit de tous les enfants de 7 à 15 ans à une éducation intégrale ressortant du devoir de l’Etat.

À propos de la concurrence entre public et privé que s’est initiée véritablement à cette époque-là, pour constituer un foyer de tension, chaque fois plus important de la part de certains versants de la société civile, il est intéressant de mettre l’accent sur le point suivant : durant plusieurs siècles, l’Etat brésilien s’est très peu impliqué dans les questions d’éducation scolaire, laissant ainsi un espace ouvert à l’Eglise et à certaines entreprises privées. Quand la question de la scolarisation de base pour le peuple a vraiment prise de l’ampleur, par la pression du marché, des industries, jusqu’à devenir un problème national, l’Etat n’avait ni les moyens financiers, ni les compétences nécessaires pour répondre à toutes les demandes et exigences de formation scolaire. Ceci explique pourquoi il a toujours dû s’allier avec les institutions privées qui occupaient déjà ce marché de l’éducation et pourquoi toutes les Constitutions et tous les grands textes de loi (type Loi Directrice et Bases/LDB) ont rédigé leurs orientations de telle manière à autoriser la redistribution des subventions publiques en direction des établissements privés, moyennant des garanties de qualité et des engagements à se substituer aux obligations de l’ Etat, en recevant, par exemple, gratuitement certains élèves ou en acceptant le principe de l’attribution de bourses aux étudiants qui, sinon, n’auraient aucunement les conditions d’accès à leur offre pédagogique. Historiquement, on peut dire que, depuis toujours, et jusqu’au jour d’aujourd’hui, l’Etat brésilien et certaines institutions privées fonctionnent dans une relation de partenariat obligatoire et organique, le premier devant compter sur les secondes pour compenser ses propres carences politiques, financières et structurelles en matière d’offre éducationnelle et de formation.

A partir de 1964 (début de la dictature militaire), la redéfinition du jeu politique, déterminé en partie par l’expansion entrepreneuriale, du fait du développement industriel qu’a favorisé l’internationalisation du marché brésilien, a soutenu la propre modernisation, l’évolution des intérêts et le renforcement des forces armées. Le nouveau régime a perçu combien l’éducation constituait un facteur important de développement socio-économique. Mais, pour cela, il dû ouvrir, pour la première fois - et l’on peut écrire, de manière permanente, jusqu’à aujourd’hui - les portes à l’aide internationale en matière de définition et de financement d’orientations éducationnelles en adéquation avec les lois du marché international. C’est ainsi que furent signés les accords MEC-USAID4, en vue d’établir une politique d’enseignement qui couvrirait les deux segments extrêmes de la scolarité : le développement de l’enseignement primaire et l’expansion de l’enseignement supérieur capable de répondre aux exigences en matière de recherche et de formation.

Pour problématique qu’aie été cette transition, pour la première fois, et à partir de la seconde moitié du XX° siècle, l’éducation fut considérée comme secteur prioritaire. Durant les quatre décennies suivantes, et jusqu’à aujourd’hui, elle va être marquée par d’importantes tentatives de réformes et de changements, la plupart du temps influencées par les grandes agences internationales auxquelles s’est ouvert le régime militaire.

Notes
4.

Ministério Educação et Cultura-United States Agency for International Development.