Dans les discours officiels ou académiques sur l’inclusion, on peut percevoir trois versants dont les logiques parfois paraissent contradictoires. D’un côté un versant très humaniste, parfois moraliste, voire messianique, et faisant la promotion des valeurs de l’égalité sociale, de la société inclusive, du droit à la diversité, de l’école de qualité pour tous, etc. D’un autre côté, on trouve des discours pédagogiques très élaborés, des propositions de pratiques et de gestion scolaires, présentées comme pré-requis pour pouvoir répondre, de manière structurée, aux attentes de tous les enfants qui, si elles se réfèrent surtout aux pays du Nord peuvent constituer des bases de réflexion intéressantes au Brésil. Enfin, on a affaire aussi à des textes ou prescriptions très techniques, dont le vocabulaire s’inspire très clairement de celui de l’entreprise où il s’agit de gérer les gens, de quantifier les inscriptions scolaires, d’évaluer le rendement éducationnel des unités scolaire en termes rapport qualité/prix. La rencontre de ces trois univers de pensée, pour le moins contradictoire, n’est pas sans poser question. Par ailleurs, comme par effet d’une sorte de dichotomie un peu schizoïde, on a d’un côté ces discours et prescriptions inclusives, ce souci pour le respect des rythmes d’apprentissage et d’acquisition des compétences, où les contenus apparaissent bien moins importants que la sociabilité et les capacités de collaboration et, d’un autre côté, dans les textes officiels, types Plan National d’Education ou Paramètres Curriculaires Nationaux (PCN), non seulement l’inclusion apparaît très peu évoquée10 mais en plus on a affaire souvent à un système scolaire qui doit tout mobilisé pour préparer ses élèves aux défis de la société de la connaissance et de l’information, à la compétitivité du marché, à faire preuve de souplesse et d’adaptation dans une société en perpétuel changement, etc. D’un côté donc la vision d’une école qui valorise le rythme différent de chacun, à l’écoute des besoins et soucieuse d’égalité, voire même de combattre la compétition, et d’un autre côté, la vision entrepreneuriale de l’école. Comment la perspective inclusive peut-elle trouver sa place dans une vision de l’école apparemment si paradoxale?
L’éducation spécialisée qui, comme l’école publique, n’a guère été valorisée, soudain se trouve convoquée en premier plan du dispositif inclusif, au prétexte qu’elle dispose de savoirs-faire spécialisés qui peuvent être mis à contribution tout au long du parcours scolaire afin d’aider des enfants en difficulté. Elle devient donc une modalité d’accompagnement spécialisée, temporaire ou permanente, au service des enfants dans le cadre d’une scolarité commune et ne peut se substituer à cette dernière, sauf dans des cas particulièrement graves devant être justifiés. Mais on s’aperçoit que les transferts de compétences de l’éducation spécialisée pour l’école publique non seulement semblent compliqués à mettre en place, coûtent de l’argent, beaucoup d’argent dans le cadre d’une inclusion se dotant de moyens sérieux, mais en plus génèrent toujours la même propension à étiqueter les gens par ce qui ce qui leur fait défaut (on a ainsi de élèves “normaux“ et des enfants “de l’inclusion“). C’est d’ailleurs ce que disent des institutrices interviewées pour expliquer qu’elles n’ont pas bénéficié de l’accompagnement du groupe de recherche: «cette année, je n’ai pas été suivi par la recherche parce que je n’ai pas “pris“ de DM (déficient mental)», laissant à penser qu’il y aurait une pratique d’enseignement valide (même si “traditionnelle“) avec les enfants “normaux“ et une autre qui justifierait l’appui de spécialistes. Le fait même que le discours inclusif s’appuie sur l’éducation spécialisée (non pas techniquement bien sûr) contribue à focaliser encore plus sur la déficience, et non pas sur une difficulté qui peut être ponctuelle, ainsi qu’à brouiller encore plus ce qui est présenté, par ailleurs, comme “naturel“: la différence.
Par ailleurs, au sein même des équipes de réflexions sur le mise en place de ces orientations scolaires existe des tensions quant à la définition de l’inclusion et aux moyens et stratégies dont on la dote pour aider les enfants en difficulté. Ainsi, un consensus assez fort sur l’utilité de l’enseignement différencié, présenté comme permettant de respecter le rythme de chacun, apparaît contesté, parfois par des auteurs qui invoquent qu’il s’agit là de mesures propres à favoriser l’étiquetage de certains enfants, au même titre qu’accompagner en enfant sourd par un traducteur en langue des sourds.
Le terme “inclusion“, dans le mesure même où il sous-entend l’introduction “volontaire“, “en force“ (du point de vue technique) d’un objet, d’une substance étrangère dans une structure ou un ensemble, favorise non seulement les effets d’étiquetage, mais aussi pose la question, fondamentale dans cette perspective, de qui décide de l’inclusion de qui. A quelles conditions est-elle soumise et par qui?
Ces quelques points, parmi d’autres, donnent à voir les tensions qui traversent toujours le discours et surtout la mise en application de l’inclusion. Michel Foucault, dans le chapitre qui suit nous aide à prendre un peu de distance et à comprendre que ce qui paraît si “naturel“, la prise en compte de la différence ou de l’altérité dans l’éducation scolaire publique, ne l’ai pas tant que cela et renvoie peut-être plus à des stratégies politiques de gestion de certains populations.
Il est généralement évoqué une fois ou deux l’importance d’intégrer les enfants ayant une déficience, mais sans plus de commentaires.