2. Biopolitique et biopouvoir selon Foucault

Dans la même année 1976, le philosophe aborde la question de la biopolitique dans deux ouvrages différents, qui se répondent. Dans le premier, Il faut défendre la société, il explique comment, dans les sociétés modernes, on est passé du pouvoir de mort du souverain au pouvoir sur la vie et, ainsi, de “l’homme-corps“, individu, à “l’homme-espèce“. Dans le second, l’“Histoire de la Sexualité I - La volonté de savoir“, en démontant l’hypothèse répressive de la sexualité, il montre comment le sexe se place au carrefour de l’individu (sexe/plaisir) et de l’espèce (sexe/reproduction). Ce pouvoir sur la vie va s’appuyer aussi sur le pouvoir disciplinaire, sur ces disciplines qui vont à la fois encadrer les populations tout produisant des savoirs de plus en plus poussés sur elles et favoriser l’émergence de nouveaux experts (pédagogues, psychiatres, statisticiens, sociologues, etc.). Ainsi, à une période qui correspond aussi à la première formation du capitalisme, on assiste à un phénomène d’une portée considérable: l’entrée de la vie dans l’histoire (Foucault, 1988). Une autre conséquence importante de l’établissement du biopouvoir comme forme de gouvernementalité, consiste en l’importance croissante de la norme, du jeu et du poids de la norme aux dépens du système juridique de la loi. En effet, un pouvoir que compte avec la vie a besoin de mécanismes continues, régulateurs et correctifs: un pouvoir de cette nature doit qualifier, mesurer, évaluer, hiérarchiser (id., p. 135). Peu à peu, cette propension à normaliser va gagner tous les aspects de la vie; la loi fonctionne chaque fois plus comme norme et l’institution judiciaire s’intègre à un continuum de technologies, d’appareils (médicaux, administratifs, etc.) dont les fonctions sont surtout régulatrices et normalisatrices. Une société normalisatrice est l’effet historique d’une technologie de pouvoir centrée sur la vie (id. ibidem). Ainsi, par exemple, le dispositif de la sexualité (tout ce qui permet de la faire parler, d’en parler) illustre combien on ne peut pas séparer l’aspect disciplinaire individuel de l’aspect contrôle collectif. Les deux dimensions (disciplinaire et biopolitique) fonctionnent en étroite complémentarité.

Dans le prolongement du fait que les mécanismes du corps et les mécanismes régulateurs de la population soient articulés l’un à l’autre, ce qui caractérise la société de normalisation, dans laquelle nous vivons, c’est une articulation étroite entre norme de la discipline (celle par laquelle on définit qui doit être inclus, par exemple) et norme de la réglementation (droit à l’inclusion des personnes ayant une déficience). Dans la perspective biopolitique, toutes les orientations politiques qui mettent en jeu la dimension individuelle/globale (gestion de la santé publique, scolarité, etc.) s’appuient sur des mécanismes disciplinaires et des mécanismes régulateurs. Ainsi, la question de l’inclusion, et de sa gestion comme élément de la “diversité“, place la déficience au carrefour individualisant de la norme, des disciplines qui ont contribué à la rendre visible dans sa spécificité et totalisant de la population “déficiente“ et “pauvre“ qui doit à des mécanismes régulateurs son intégration “naturelle“ dans l’école publique. Mais, alors même que cette intégration s’appuie, en principe, sur des valeurs égalitaires et de non étiquetage, les disciplines qui produisent les personnes à inclure génèrent ces effets discriminants qui justifient justement leur place et le mode de “traitement“ scolaire (les fameux besoins éducatifs spécifiques) à leur appliquer. On peut faire l’hypothèse, entre autres, que l’école publique, “l’école des pauvres“, se trouve être le lieu d’accueil privilégié de cette diversité, de cette nouvelle population vis-à-vis de laquelle on n’a pas de grande expectative en termes d’ascension sociale et permet des économies substantielles en termes d’éducation spécialisée. Elle permet, de plus, de fixer une population dont on peut plus facilement contrôler l’évolution et dont on peut apprendre beaucoup du point de vue cognitif, psychologique et pédagogique. Cela relève donc, sous cet angle, non plus de la contradiction ou du paradoxe, mais d’une stratégie de pouvoir, dans une société qui selon Foucault, jamais ne se contredit, mais se stratégise.

Mais l’entrée de cette nouvelle population d’élèves dans l’école publique n’est pas sans provoquer de remous auprès d’enseignants non préparés à cet accueil et que l’on n’a jamais consulté à ce propos. Ceux de l’école Ferreira, vont être accompagnés donc par des chercheurs mieux équipés théoriquement, mais qui vont avoir pour tâche de convaincre, avant toute chose, que ce qui est “bien“ pour les enfants “différents“ est aussi “bien“ pour eux, instituteurs. La deuxième partie de ce travail se présente sous forme d’une ethnographie de cette rencontre expérimentale entre ces “étrangers“ et dans laquelle il sera question d’analyser sous l’angle privilégié des relations de pouvoir savoir, le processus de formation continue, supposé préparer mieux ces professionnels, qui va se dérouler dans cette école durant presque trois ans.