1. L’école comme lieu de pouvoir et de discipline

L’école Ferreira représente une sorte “d’oasis structuré“, rappelant la présence de l’Etat dans ce lieu oublié par le bien-être socio-économique. Elle atteste la volonté politique de transmettre des valeurs nationales et culturelles; la nécessité de conserver et de diffuser des savoirs intellectuels; d’innover et de favoriser des changements; de développer et contrôler des processus de socialisation par les normes établies; l’impératif de former des citoyens éduqués et respectueux de l’ordre social.

Elle rappelle qu’elle participe d’une manifestation du pouvoir et de l’ordre: dans ce quartier où existe du désordre socio-économique et de la délinquance, existe aussi une institution scolaire, ayant une certaine fonction de contrôle social, qui peut être qualifiée de “primaire“ (de la même manière que la famille, le voisinage, etc.). Selon Foucault, elle peut être aussi qualifiée “d’institution de séquestre“ en tant qu’elle fixe des enfants dans un lieu, pour un temps et à un corps collectif avec lequel ils n’ont pas le pouvoir de rompre, théoriquement avant l’âge de 14 ans (limite d’obligation scolaire au Brésil).

Peu à peu les enfants et les familles passent le contrôle du portier de ce lieu qui, obéissant à une disposition de type “panopticon“ rendu célèbre par Foucault, s’apparente à un “huit“ stylisé, au milieu duquel se trouve le préau. Celui-ci constitue l’endroit stratégique de l’établissement, à partir duquel il est possible de contrôler tout mouvement dans l’école. À l’une des extrémités du préau, se trouve l’entrée de la partie administrative et à l’autre, la petite cuisine où, deux fois par jour, matin et après-midi, sont servis une collation substantielle (sous forme de soupe, généralement accompagnée de riz et de morceaux de poulet cuits) qui représente parfois l’unique repas équilibré de certains des élèves de l’école. Face aux six grandes tables du préau qui accueille ces repas, se trouve une niche abritant une statue de la Vierge Marie. L’Etat et l’Eglise veillent aux destinées des processus d’enseignement de l’école Ferreira.

S’il existe une certaine souplesse disciplinaire, une certaine tolérance vestimentaire, l’école ne constitue pas moins un espace dans lequel règnent et circulent de la discipline et des modalités de contrôle des personnes et des corps; ces méthodes que Foucault appelle les “disciplines“. Pour les enfants, cela se traduit par une multitude de comportements à respecter qu’ils finissent par intégrer comme allant de soi; par une discipline du corps passant par le port de l’uniforme de l’école publique et le respect de rituels quotidiens en relation avec la prise de repas ou les activités scolaires.

Pour accueillante qu’elle soit, l’école Ferreira est aussi un endroit d’ordre dans lequel on enseigne, et on doit intégrer, l’ordre du monde. Ainsi que l’explique Legrand (2007, p. 106), la fréquentation de l’école se transforme en un temps de suspension sociale, de coupure temporelle avec le milieu familial, caractéristique des institutions de séquestre évoquées par Foucault:

‘Elles instaurent une coupure entre le sujet et le monde, entre le sujet et tous ses groupes d’appartenance, elles sont un opérateur de la dissolution des liens sociaux traditionnels dans leur plus grande généralité, et en même temps elles ne font que répéter en leur sein les normes que structurent (sont censées structurer) la réalité hors les murs. (...) Elles produisent un certain type d’assujettissement, c’est-à-dire de sujet ordonné pratiquement aux normes qu’elles imposent; et, en étant formellement homologues les unes avec les autres relativement à ces normes, elles font fonctionner socialement un certain modèle de conduite, mais ce précisément et paradoxalement en tant qu’institutions closes au pouvoir desquelles le sujet ne peut se soustraire. En d’autres termes: c’est en tant qu’elles sont fermées sur elles-mêmes qu’elles sont ouvertes sur la société; c’est en tant que le pouvoir qui y joue est “quasi autonome et souverain” qu’il reconduit et véhicule le pouvoir social de la classe dominante; c’est en tant que les sujets qui y entrent sont détachés de toute appartenance sociale effective, qu’elles forment une classe sociale réellement spécifique.’

Le chapitre qui suit se propose d’aborder plus précisément le contexte de rencontre entre cette institution de “séquestre“ et le groupe de recherche.