2.3 Rencontre avec l’école Ferreira

En cette année 2007, l’école Ferreira compte 26 élèves avec divers types de déficience: surdité (cinq élèves), hyperactivité (cinq), déficience intellectuelle (cinq cas), Syndrome de Down/trisomie 21 (une élève), difficultés d’élocution (deux), problèmes significatifs d’ordre émotionnel (un cas), retard important dans le développement (une élève) et problèmes importants d’apprentissage (six enfants).

Construite récemment, l’école offre de bonnes potentialités em termes d’espaces, de conditions d’accueil, si ce n’est que celles-ci étaient limitées par des difficultés d’accès (absence de rampe d’accès pour des enfants en fauteuil roulant) et absence, au début de la recherche, de ressources spécialisées18. L’absence de temps et d’opportunités pour s’organiser, pour définir des stratégies d’aide aux enfants les plus en difficulté et l’absence d’un véritable appui spécialisé dans les salles de classes (nombreuses) constituent les doléances exprimées encore aujourd’hui par les enseignants.

Ceux-ci composent une équipe de 26 professionnels (femmes). La grande majorité d’entre elles (19) a plus de dix ans d’expérience professionnelle et seulement une a moins de cinq ans de pratique enseignante. Les autres comptent entre cinq et dix ans d’enseignement. À l’exception d’une d’entre elles, toutes ces femmes ont eu une formation supérieure, mais avec des niveaux de qualité très divers. Ainsi, seules sept d’entre elles ont eu ce qu’on ce qu’il convient d’appeler, ici, une formation supérieure de qualité (universités privées reconnues pour leur qualité et certaines facultés d’éducation fédérales ou d’Etat). En ce qui concerne leur expérience de travail auprès d’enfant en situation de handicap, bien que l’intégration de ces derniers soit inscrite dans la dernière Constitution fédérale (de 1988), la grande majorité de ces professeures n’a jamais été en contact avec ces enfants avant leur entrée dans cette école et aucune d’elles n’avait travaillé dans une perspective d’inclusion scolaire avant de rencontrer les chercheurs de l’Université Fédérale du Cearà.

D’un point de vue plus sociologique, la grande majorité de ces professeures sont originaires d’un milieu social très modeste et sont émigrantes de l’intérieur, du Sertão. Comme l’indique les entretiens réalisés auprès d’elles, l’obtention du statut de fonctionnaire de l’éducation municipale, en plus du statut valorisé qu’il leur procure dans leur région d’origine, constituait une forte motivation dans leur choix professionnel, en ce sens qu’il leur permettait d’accéder à un emploi garanti et de rompre donc avec les conditions de vie précaires que connut la majorité d’entre elles. Il convient de noter aussi, que du point de vue sociologique, à l’époque, les femmes de l’intérieur, du Sertão, n’avaient à leur disposition qu’une gamme de choix professionnels assez limitée. Leur entrée dans l’école, en tant qu’institutrice, a donc représenté une promotion sociale importante. Les salaires d’instituteur étant encore assez modestes, au Brésil, il convient d’avoir en tête que la très grande majorité de ces femmes (quasiment toutes) ont une double, voire triple (dans quelques cas très limités) journée professionnelle19, parfois dans la même école, le plus souvent dans une autre école, et majoritairement dans une école privée.

En 2007, année que j’ai choisi pour décrire ce jour “idéal“, l’équipe de direction de l’école comprenait: un directeur et une vice-directrice, récemment nommée, une coordonnatrice pédagogique et une conseillère pédagogique. Il convient de noter que la fonction de direction apparaît assez problématique dans cette école. En effet, peu de temps après que le groupe de recherche ait commencé son travail, l’ancienne directrice a été licenciée pour des raisons assez confuses. Un nouveau directeur (le directeur actuel), sans expérience, a été nommé sur proposition politique (par un conseiller municipal), ainsi qu’un vice-directeur qui, lui, avait déjà dix ans d’expérience de gestion d’école. Rapidement il y eut des tensions entre eux deux. Ainsi, quand la recherche s’est implantée dans l’école, il régnait une grande confusion: les professeures composaient deux factions, l’une en faveur de l’ancienne directrice et de sa vice-directrice qui était une des professeures de l’école (encore présente à ce jour) et l’autre contre; par ailleurs tout nouveau directeur était récusé par l’ensemble. Rapidement, le vice-directeur s’est mis en arrêt maladie, jusqu’à ce qu’il lui soit proposé le direction d’une autre école; une vice-directrice, nommée sur proposition politique, elle aussi, a été nommée à sa place mais, rapidement des conflits se sont déclenchés entre elle et l’actuel directeur.

À ces deux équipes, enseignante et de direction, il convient d’ajouter celle des personnels techniques chargés de l’entretien de l’école, de sa surveillance (portiers) et de la préparation des repas.

Notes
18.

Matériels, supports didactiques spécialisés pour le Braille ou personnes malentendantes; salle d’appui pédagogique, personnel spécialisés notamment pour enfants ayant des problèmes de cécité ou de surdités. Pour ces derniers, au jour d’aujourd’hui, tout reste encore à faire.

19.

Au Brésil, ce qu’on appelle l’enseignement intégral n’existe pratiquement pas dans l’éducation publique. Aussi les enfants ont-ils cours soit le matin, soit l’après-midi (turno da manhã e da tarde), ce qui représente environ pour eux, quatre heures de présence à l’école. Il existe un cours de nuit pour les adolescents et les adultes qui n’ont pu faire leur cycle primaire dans sa totalité. L’immense majorité des institutrices de l’école Ferreira travaille donc soit durant les deux cycles dans cette école, soit doit se déplacer, parfois à l’autre bout de la ville pour compléter leur salaire dans une école privée pendant l’autre demie journée. Quelques professeures ont fait le “choix“ de travailler de nuit, complémentairement à leur temps de présence dans l’école Ferreira.