1.1 Recherche et effets de domination

Ce qui s’est passé en ce début d’après-midi, m’a fait prendre conscience, corporellement, pour ainsi dire, que pour “généreuses“, “émancipatrices“, “désintéressées“, que soient les motivations du chercheur, pour neutre qu’il désire que soit sa position d’observateur, la recherche de la compréhension d’une phénomène social, scolaire ou culturel, n’est pas sans produire des relations de domination, de pouvoir savoir, intimement liées aux conditions sociopolitiques ou historiques dans lesquelles cette recherche s’inscrit et trouve sa justification. La volonté de savoir qui anime le chercheur l’inscrit aussi dans des relations asymétriques où l’un est fondé à poser des questions et où l’autre est placé, un peu, en demeure d’y répondre; l’un est le “chercheur“, dont le fait même de poser des questions confirme le statut de “scientifique“, et l’autre, bien souvent, se voit confirmer dans une situation, pour le moins ponctuellement, de “confession“ à propos de ses pratiques, quelles qu’en soient la nature.

Si ce rappel à l’ordre a mis en évidence combien on ne peut se placer, en tant que chercheur, en extériorité par rapport aux effets de pouvoir et de domination qui accompagnent la recherche d’une vérité, à travers l’évocation de ma propre déontologie, j’ai perçu aussi les effets de domination qui traversent la propre recherche générale. Ma recherche s’inscrivant dans le cadre d’une étude qualitative “classique“, c’est-à-dire visant plus la compréhension des phénomènes que la résolution ou la transformation d’une situation, j’étais un peu moins “sous pression“ que mes autres collègues. Eux connaissaient une double préoccupation: agir, de fait, sur un problème et vérifier, sur le terrain, les hypothèses transformatrices qu’ils formulaient à titre individuel, dans une perspective de recherche-action pour la plupart d’entre eux. Ce qui ne signifie nullement que la relation de “fidélité“ à la recherche globale ne faisait pas sens pour moi. M’intéresser aux relations de pouvoir savoir dans la recherche (dans laquelle j’étais pleinement intégré) ne m’empêchait nullement de m’impliquer (avec bien sûr quelques restrictions dues à mes compétences différentes et à mes limitations linguistiques) dans les diverses activités de la recherche. Simplement je disposais d’une marge d’action autre.

Même si j’étais impliqué dans certaines des actions du groupe de recherche, je me sentais moins soumis, de fait, à une certaine exigence de résultats qui a parfois généré quelques tensions dans le groupe des chercheurs. En effet, dans la mesure où il engageait la crédibilité de ceux qui l’ont sélectionnés et financés, ainsi que celle de l’université, ce projet n’est pas sans générer quelques effets de domination internes et externes.