J’ai trouvé dans l’oeuvre de Weber une typologie de la domination légitime qui peut éclairer et permettre de mieux comprendre ce qui semblait en jeu dans les effets de pouvoir qui traversent cette volonté d’inclure affichée par les chercheurs. Avant de la présenter sommairement, il convient de noter que Weber met en relation les effets de domination (c’est-à-dire la probabilité d’obtenir l’obéissance à un commandement déterminé 24) à celui que obéit et au fait qu’ils peuvent se fonder sur divers motifs de soumission. Ainsi, ces relations de domination peuvent dépendre de diverses considérations utilitaristes, d’avantages et d’inconvénients de la part de celui qui obéit; ils peuvent dépendre de certaines dispositions liées à un habitus particulier; comme ils peuvent aussi se fonder sur l’affect ou une simple inclinaison personnelle du sujet. Mais, pour que la domination puisse avoir un effet moins instable, elle doit aussi s’appuyer, à l’interne, sur des bases juridiques qui fondent sa légitimité et le fait que cette dernière soit perçue comme porteuse d’implications de grande portée. Dans une forme pure, pour Weber, les “bases légitimes“ de la domination sont de trois types: la domination légale, la domination charismatique et la domination traditionnelle. Par ailleurs, Weber explique que souvent l’on a affaire à un mixte de ces modes de domination qui se présentent rarement en un seul bloc. Si les rappels à l’ordre faits aux professeures Denise et Maria renvoient plus à une forme de domination légale qui trouve sa justification dans la référence à un contrat - moral ou réel -, les subtiles effets de domination qu’ils laissent transparaître ou deviner dans le quotidien de la recherche reposent aussi sur d’autres dimension de la domination.
Ainsi, si on prend en compte la solide hiérarchie, basée sur l’excellence, qui s’est établie depuis le Moyen-Âge, entre le corps enseignant “de base“ (notamment de l’enseignement primaire) et les représentants de l’université, il ne me paraît pas exagéré d’écrire qu’entre eux circulent des modes d’autorité que renvoient à la domination de type traditionnel. Le milieu de l’éducation scolaire, comme conservateur du patrimoine des savoirs, a toujours incité et favorisé une forme de respect, de fidélité à l’endroit de ses représentants les plus “nobles“ et les plus “savants“ qui, comme on l’a déjà abordé avec Foucault, exercent un rôle important de contrôle et de raréfaction de qui peut émettre la vérité, de qui participe à l’élaboration et à la diffusion des régimes de vérité.
En d’autres termes, Bourdieu (Homo academicus, entre autres livres) démontre combien les relations de pouvoir, de hiérarchie et de fidélité aux règles, aux codes de la “caste“ intellectuelle demeurent encore traditionnelles, imprègnent tous degrés de l’éducation scolaire et font en sorte que l’idée de critiquer le discours savant, autorisé et validés des représentants supérieurs du système éducatif soit impensable de la part de ses représentants les plus humbles, comme les instituteurs du cycle primaire.
Ceci me permet de faire un rapide parallèle entre Weber et Bourdieu, en ce qui concerne le fonctionnement des relations de domination ou de pouvoir symbolique. En effet, le premier rappelle que ces trois types de domination s’établissent tant en fonction de qui commande qu’en fonction de qui obéit. Il n’y a donc pas, de pur effet de soumission totale du sujet au règlement bureaucratique, à la personnalité charismatique ou au chef traditionnel. Il s’agit alors de l’inscription de ces relations dans des conditions sociopolitiques et historiques qui ont déterminé ce que Bourdieu appelle la “complicité active“ de qui est soumis au pouvoir symbolique. Thompson, dans sa préface au livre de Pierre Bourdieu (Langage et pouvoir symbolique, 2001, pp. 39-40) développe cet argument:
‘Bourdieu souligne ce point en affirmant que le pouvoir symbolique est un pouvoir "invisible" qui est "méconnu" en tant que tel et dès lors "reconnu" comme légitime. Les termes de "reconnaissance" et de "méconnaissance" jouent ici un rôle important: ils mettent en relief le fait que l'exercice du pouvoir à travers l'échange symbolique s'appuie toujours sur une croyance partagée. C'est dire que l'efficacité du pouvoir symbolique présupposee ces formes de connaissance et de croyance à travers lesquelles ceux-là mêmes qui profitent le moins de l'exercice du pouvoir sont amenés à participer, jusqu'à un certain point, à leur propre assujettissement.’Ainsi, dans le cas des deux professeures évoquées, les rappels à l’ordre renvoient à des échanges symboliques dont le focus est la notion de contrat et la croyance partagée dans l’engagement formel que constitue le fait que l’on ait signé quelque chose. Il fut d’autant plus facile d’obtenir l’effet d’obéissance que le rappel à l’ordre venait de chercheurs légitimés par le segment le plus prestigieux, l’université, dont elles ont appris à reconnaître l’autorité morale et à intégrer comme légitime le discours scientifique, durant toute leur formation scolaire et professionnelle. D’une certaine manière, ces situations de rappel à l’ordre les placent au carrefour de la domination légal (le contrat) et de la domination traditionnelle (respect pour les paires supérieurs). On pourrait ajouter aussi qu’une part de domination charismatique, comme on le percevra plus avant, a exercé un rôle non négligeable dans ces effets de rappel à l’ordre et va imprimer sa marque dans le déroulement des relations entre chercheurs et professeures.
Avant d’aborder la notion de contrat, si souvent mobilisée, comme faisant partie d’une stratégie de cohésion, je vais présenter maintenant le dispositif de la recherche, ainsi que les conditions sur lesquelles ils repose et ses principaux éléments constitutifs.
Reproduit et traduit de : Reproduzido de WEBER, Max. "Die drei reinen Typen der legitimen Herrschaft." In: Wirtschaft und Gesellschaft. 4. ed., organizada e revista por Johannes Winkelmann. T¸bingen, J. C. B. Mohr (Paul Siebeck), 1956, v. II, p. 551-8. Trad. por Gabriel Cohn, p. 128.