1. Diffuser la vérité

1.1 Les fondements théoriques de la vérité

Foucault nous rappelle utilement combien les sciences humaines ou sociales n’ont jamais pu s’émanciper totalement de la matrice de pouvoir (royale et ecclésiastique à l’époque de l’Inquisition) qui favorisa leur émergence. Le philosophe explique aussi que, par divers mécanismes disciplinaires et de raréfaction des sujets habilités à parler et à diffuser une vérité, le chercheur, ainsi que les objets auxquels il s’intéresse sont sociopolitiquement situés. Par ailleurs, toujours selon Foucault, les relations de pouvoir et la production de savoirs et de vérités s’impliquent mutuellement. C’est cette assise qui s’exprime dans les discours autorisés qui permettent à ces derniers de définir des régimes de vérité qui balisent, définissent et séparent le vrai de son contraire.

La pédagogie, qui revendique un statut de science humaine, se situe au croisement des savoirs des sciences sociales et des disciplines cliniques desquelles elle intègre et organise les normes. L’inclusion, de son côté, se constitue comme discours émanant de l'erre de la pédagogie et de l’éducation spécialisée, discipline clinique à partir de laquelle s’établit la partition “normal“/“anormal“ ou “spécial“ et se définit les normes des modes de traitement éducatif ou pédagogique à proposer. Opérant, comme on l’a vu, en même temps dans une perspective totalisante (définition et gestion de la population “différente“ qui constitue la “diversité“) et individualisante (normalisation disciplinaire qui spécifie le type de déficience), la discursivité “éducation spéciale“ offre la particularité de revendiquer son bien fondé et sa légitimité dans un réseau de discours qui trouvent leur source normalisatrice tant dans les sciences humaines et les disciplines cliniques que dans le droit, les savoirs originaires de l’économie et de l’administration (exigence d’efficacité, de gestion, référence à la théorie du capital humain, etc.). On peut percevoir que sont en jeu des éléments référant à une normalisation disciplinaire (dimension individualisante) et a une normalisation biopolitique (dimension totalisante) par le biais d’une normalisation par réglementation (le droit à), dont la référence constante à l’éthique à pour effet “d’aseptiser“ le discours inclusif de toute tension, référence politique. Comme le rappellent Rabinow et Dreyfus (1995), la gouvernementalité néolibérale en action dans la société contemporaine s’exerce à travers un “vide politique“ qui selon ces deux auteurs renvoie au biopouvoir dont une des caractéristiques spécifiques du pouvoir moderne est le retrait du savoir à l’extérieur du pouvoir (1995, p. 200). Avec cette dépolitisation néolibérale des choses de la cité, un nouvel acteur - l’expert - occupe un espace chaque fois plus important dans les instances de décision et dans les modalités de mise en œuvre des politiques publiques.

La valorisation socio-politique de l’éducation inclusive offre les conditions stratégiques e redéfinition du “vrai“ et du “faux“ en matière d’accueil et de pratiques pédagogiques scolaires. Il appartient aux experts, en tant que médiateurs d’une politique publique, le rôle d’élaborer et de diffuser les régimes de vérité sur lesquels reposent les pratiques pédagogiques validées comme étant en adéquation avec le projet d’éducation inclusive. Mais, pour être historiquement, donc ponctuellement, et sociopolitiquement situés, ces régimes de vérité sont toujours le théâtre d’affrontements, de luttes, de résistances souterraines, propice à marquer du coin de l’arbitraire et de l’exclusion (des régimes de vérité antérieurs) des vérités qui généralement ne sont que des vérités d’un temps déterminé.