Au Moyen Age, les liens entre les genres historique et épique sont nombreux et la présentation de ce que nous nommons aujourd'hui l'Histoire revêt, à l’époque de Nicolas de Vérone, deux aspects principaux : à la simple tentative de recueil de faits s’ajoutent les efforts de reconstruction des événements et surtout du sens à leur donner. En effet, la recherche des matériaux de mesure du temps, chronologiques ou computistiques, et des détails anecdotiques des épisodes à rapporter ne représentent que la première étape de la rédaction d’une « histoire ». Cet ouvrage littéraire, de facture soignée, délaisse souvent le simple déroulement chronologique pour reconstruire un sens par la combinaison, la présentation, et la mise en valeur des faits événementiels. C’est le cas dans les œuvres de Grégoire de Tours, dans celles d’Orderic Vital ou dans le Livre d’Orose 487. L’histoire au XIVe siècle, rapportée dans un style élevé, parfois en vers, s’apparente aisément à la célébration.
Ainsi la chronique historique des Fet des Romains que Nicolas de Vérone utilise est déjà largement habitée par un souffle épique. Mais le poète franco-italien souligne que son texte, écrit en vers, est totalement original, la bataille de Pharsale n’étant « rimé[e] par nulle concordance »488. Le projet affiché du trouvère est de faire du combat qui opposa César et Pompée l’argument d’une chanson de geste indépendante. Les faits historiques, qui se sont déroulés le 9 Août 48 avant Jésus-Christ, dans la plaine de Thessalie, à quelques kilomètres de la ville de Pharsalos489, ne sont pas replacés dans leur contexte et aucune datation n’est fournie par l’auteur. Seul l’aspect décisif de cet engagement armé pour l’issue de la guerre civile semble intéresser le poète et dès lors l’action de sa Pharsalese déroule dans un passé lointain, devenu légendaire et connu de tous, comme c’est le cas dans les épopées françaises. L’articulation entre le mythe et l’histoire est ici tout à fait évidente.
Reste à s’interroger sur le point de vue adopté et à se demander qui, du vainqueur ou du vaincu, est le héros de la chanson de geste de Nicolas de Vérone. La vision de la bataille et le sens à lui donner dépendent de ce choix narratif. Pour César, la victoire signifie l’accession au statut de maître de Rome alors que, dans le même temps, la défaite fait de Pompée un personnage voué à la disparition et à la mort. L’étude du schéma structurel de l’épopée puis de ses fondements idéologiques permettra de saisir l’originalité de la Pharsale par rapport à la chronique française.
Grégoire de Tours, Gregorii episcopi Turonensis libri historiarum X, éd. B. Krusch, W. Levison, Hanovre, coll. Monumenta Germaniae Historica. Scriptores rerum merovingicarum I.‑1, 2ème éd., 1937-1951 ; Orderic Vital, The Ecclesiastical History of Orderic Vitalis, 6 vol., éd. M. Chibnall, Oxford, Clarendon Press, 1969-1980 ; Paul Orose, Histoires, éd. M.‑P. Arnaud-Lindet, Paris, Belles Lettres, t. I, livres 1 à 3, 1990, t. II, livres 4 à 6, 1991, t. III, livre 7, 1991 (la première édition du texte d’Orose date du XVe s. : P. Orose, Historiae, Venise, Octavianus Scotus, 1483). Un exemplaire de la compilation historique du Livre d’Orose, répertorié sous le n° 9 avec le titre « Liber diversarum ystoriarum » dans l’inventaire de 1407.Voir W. Braghirolli, P. Meyer, G. Paris, « Inventaire des manuscrits », art. cit., p. 506.
La Pharsale, v. 31.
Pour les événements historiques, voir Y. Bequignon, « Pharsalos », Paulys Realenzyclopädie der classischen Altertumswissenschaft, éd. G. Wissowa, K Ziegler, Supplementband 12, Stuttgart, 1970, p. 1071-1080.