I/ Le merveilleux chrétien : les miracles

La société au sein de laquelle écrit Nicolas de Vérone et à laquelle il s’adresse est profondément religieuse. Le merveilleux chrétien peut aisément se définir comme tout ce qui est lié à la présence et à la manifestation effective de Dieu dans la vie terrestre des hommes. Cette catégorie de surnaturel englobe donc aussi bien le miraculosus que le mirabilis dont parle J. Le Goff et est essentiellement représentée par ce que l’on appelle couramment les miracles611.

La Prise de Pampelune, épopée carolingienne, et à plus forte raison, la Passion, récit tiré des Evangiles, paraissent propices à la manifestation d’un surnaturel d’origine divine : les exploits guerriers ouvrent aux héros les portes de la sainteté et Jésus est le prophète qui accomplit des prodiges.

Cependant, dès la première lecture de la Prise de Pampelune, il est frappant de constater l’éviction systématique de tout fait merveilleux. Le surnaturel, de quelque forme que ce soit, est remarquablement absent de cette chanson de geste, comme s’il n’était en rien nécessaire au récit héroïque, alors qu’il est bien présent dans le Pseudo-Turpin et dans l’Entrée d'Espagne du Padouan. Cette constatation n’est pas sans appeler de commentaire et amène à réfléchir à la façon dont Nicolas de Vérone traite les miracles chrétiens.

Il est intéressant de se demander dans quelle mesure la représentation qu’il en donne est liée ou non au respect et à l’adaptation des sources contraignantes dans le sens où la Passion est une fidèle retranscription des Evangiles et fait apparaître nombre de miracles alors que la Prise de Pampelune, qui s’inspire plus librement de données légendaires, omet toute intervention surnaturelle. En d’autres termes, il nous faut réfléchir aux différents processus d’appropriation des textes originaux par Nicolas de Vérone pour voir s’ils sont constants et pour comprendre de quelle vision du monde ils dépendent.

Pour ce faire, il sera plus commode d’étudier successivement la Passion et la Prise de Pampelune, tout en délaissant volontairement la Pharsale, texte antique dans lequel les miracles chrétiens sont, de fait, très peu représentés malgré les mécanismes d’adapatation et de christinaisation hérités des Fet des Romains.

Notes
611.

A propos des miracles dans la terminologie biblique, voir J.‑R. Valette, « Miracle et merveille dans les proses du Graal », Furent les merveilles pruvees et les aventures truvees, éd. F. Gingras, J.‑R. Valette et alii, Paris, Champion, 2005, p. 673-674 et R. Latourelle, « Miracle », Dictionnaire de théologie fondamentale, éd. R. Latourelle, R. Fisichella, Montréal-Paris, Bellarmin-Cerf, 1992, p. 851-852.