II/ Complexification du monde et émergence de l’individu

Nicolas de Vérone se conforme aux habitudes épiques dont il s’inspire et la peinture des rivalités entre les différents personnages est schématiquement cohérente. C’est que le trouvère cherche à respecter les sources qu’il admire et à plaire à un public habitué à des catégorisations simples. Mais cette présentation archétypale de l’ennemi, qui permet de véhiculer des idées primaires, se combine avec celle, beaucoup plus nuancée, des liens des hommes entre eux.

En effet, la vision que le poète propose de l’ennemi, conforme à celle de l’esthétique de l’épopée, est nécessairement inapte à caractériser les particularités des différents personnages de son œuvre parce que les sujets traités sont eux-mêmes très variés. Les Juifs souhaitent la disparition du Christ et César l’emporte en Thessalie, mais la haine qu’ils vouent à leurs adversaires respectifs n’est pas réciproque. Jésus ne répond pas aux coups de ses bourreaux et Pompée souhaiterait une résolution amiable du conflit. C’est là une modification essentielle de l’esprit épique.

Cet infléchissement est d’autant plus frappant que Nicolas de Vérone a pris soin de présenter un César en tous points conforme aux héros épiques les plus combatifs et, dans le même temps, d’en désavouer le projet. Le trouvère salue la vertu romaine de Pompée alors même que le comportement de ce vaincu se distingue fondamentalement de ceux traditionnellement représentés dans les épopées.

Cette complexification du monde nuance les anciennes représentations stéréotypées parce que les héros franco-italiens se détachent peu à peu du groupe auquel ils appartiennent et se réalisent en tant qu’individus. L’émergence de la personne s’accompagne alors d’un désir d’affranchissement de la destinée collective.