1/ La monarchie de droit divin en question

Dans la Prise de Pampelune, Charlemagne se présente aussi bien comme empereur que comme monarque divin et les nombreuses enseignes qui lui sont attribuées en sont la marque héraldique :

‘Lour fu sour l’aute tour le confenon dieu mis
E cil aou grand Cesar e l’autre a flor de lis
E cil aou duc Rolland fu joste ceus asis1325.’

L’aigle couronnée, les symboles chrétiens et la fleur de lys1326 sont autant de représentants iconographiques de l’autorité dont le héros peut se prévaloir.

La tradition épique et, à plus forte raison, les chansons carolingiennes, véhiculent des doctrines théocratiques selon lesquelles le pouvoir de Charlemagne est subordonné à la tutelle divine. De la même façon, l’autonomie dont Pilate pense jouir dans la Passion n’est qu’illusoire. Alors que le gouverneur romain se croit maître de ses décisions et de ses actes1327, Jésus lui rappelle :

‘« Tu ni eüses sour moy nulle poeste
Se donee ne te fust desour »1328.’

Cette leçon suit celle de Jean1329, le seul Evangile à relater l’échange entre le juge et son captif et cette évocation d’un pouvoir consenti par Dieu illustre, au sein même de l’œuvre du poète franco-italien, la théorie d’une monarchie de droit divin dont les épopées que Nicolas de Vérone prend pour modèles font l’apologie.

Elu de Dieu, le roi des Français, représentant de la chrétienté toute entière, accomplit sur terre la volonté céleste et son pouvoir dépend du bon vouloir divin. Les liens qui unissent ce souverain au Seigneur sont à l’image de la relation féodo-vassalique puisque l’empereur de l’Occident est pleinement soumis à celui qu’il sert. Cette dépendance est constitutive du mythe de Charlemagne tel qu’il est représenté dans la littérature épique et en particulier dans les textes du cycle du roi. Mais cette vision de la royauté est quelque peu malmenée dans l’Italie communale où la description d’un système hiérarchique féodal peut légitimement apparaître comme une marque d’exotisme. On a vu de quelle façon les chansons franco-italiennes, particulièrement celles du manuscrit V13, accordent une plus large place aux intrigues privées qu’aux grandes luttes menées au nom de Dieu1330.

Ce n’est cependant pas le cas de la Prise de Pampelune qui, tout en ménageant à l’individu une place nouvelle, est une épopée de croisade, comme l’était l’Entrée d’Espagne dont elle prend la suite. En ce sens, elle est représentative d’un genre très proche de celui des textes français qui inspirent son auteur. Charlemagne lutte contre les Infidèles et son combat est mené au nom des idéaux chrétiens dont il est l’auguste champion. Le trouvère est alors confronté à une antinomie qu’il s’agit de résoudre entre guerre sainte et indépendance du pouvoir politique.

Afin de comprendre comment Nicolas de Vérone parvient à respecter l’esprit des œuvres qu’il adapte tout en proposant une vision du monde cohérente avec celle du public auquel il s’adresse, il convient d’analyser les expressions de la relation qui unit l’empereur à Dieu. Si Charlemagne est traditionnellement couronné par les anges, parce qu’il tient son autorité du Créateur même, les interventions divines sont limitées dans la Prise de Pampelune du fait de la disparition des contacts directs entre les hommes et les manifestations du sacré.

Notes
1325.

La Prise de Pampelune, v. 2453-2455.

1326.

Ce symbole iconographique est directement lié à la royauté dans la Prise de Pampelune, v. 4735.

1327.

Il demande à Jésus qui s’obstine à garder le silence : « Che ne me parles ? Ne sais tu che a ces pons / Je ay la poësté de ta delivreisons ? », la Passion, v. 670-671.

1328.

La Passion, v. 673-674.

1329.

« Mihi non loqueris ? Nescis quia potestatem habeo crucifigere te et potestatem habeo dimittere te ? » Respondit Iesus : « Non haberes potestatem adversum me ullam nisi tibi esset datum desuper »,Jean, 19, 10-11. Cet échange est absent de Matthieu, 27, 11-14, Marc, 15,1-5 et Luc, 23, 1-12.

1330.

A. Viscardi considère en effet, à juste titre dans le cas des chansons de V13, que les textes franco-italiens sont plus volontiers des récits de combats nés de rivalités familiales ou privées que des épopées inspirées par l’esprit de croisade. Il en va ainsi de Berta da li pè grandi, de Bovo d’Antona, de Karleto, de Rolandin, de Berta e Milon, des Enfances Ogier et de Macaire. Voir A. Viscardi, Letteratura franco-italiana, op. cit., p. 25.