Dieu intervient personnellement dans le sacre de Charlemagne parce que l’homme ainsi béni est son bras armé sur terre. En effet, les actions accomplies par le chef de guerre, principalement les opérations militaires à but évangélisateur, sont directement requises par le Seigneur. Le prologue de la Chanson des Saisnes le rappelle justement :
‘Le premier roi de France fist Diex par son conmantLe commandement divin, transmis par un ange la plupart du temps, impose à l’empereur de donner Durandal à Roland1337, de mobiliser ses troupes et de défier les Païens1338, de partir en terre sainte1339 ou d’aller prendre Luiserne :
‘Atant es vos I angre cler et resplandissant,Cette vision angélique, qui marque le début de Gui de Bourgogne, est répétée à la fin du texte, une fois la ville conquise, et le roi est prié d’aller vénérer saint Jacques1341. Ainsi, comme c’est souvent le cas, les apparitions célestes encadrent les différents épisodes de l’épopée.
A ce titre, la dernière laisse de la Chanson de Roland est tout à fait significative puisque Charlemagne, après avoir vengé son neveu de la trahison de Ganelon et après avoir converti Bramidoine à la foi chrétienne, est à nouveau sollicité par saint Gabriel pour porter secours à Vivien de Bire dont la cité est assiégée1342. « Li emperere n’i volsist aler mie »1343 précise le texte d’Oxford mais il n’est pas permis à qui tient son autorité de Dieu de se soustraire à ses exigences. Tel est le sens de la confession de l’empereur dans Renaut de Montauban :
‘« Dex me menda par l’angle que je alasse emblerLa légitimité divine de l’action terrestre entreprise prescrit au roi couronné par Dieu d’être son sergent sur terre, sans restriction aucune.
Or, cette obligation d’allégeance au Ciel n’est pas ressentie comme telle par les personnages de la Prise de Pampelune. Charlemagne mène la croisade mais cet objectif, qui est répété tout au long du texte1345, n’est que le cadre des aventures au sein duquel les héros manifestent leur bravoure et n’est associé qu’en une seule occasion à un possible salut de l’âme. En effet, Désirier est l’unique protagoniste à considérer la reconquête de l’Espagne comme un impératif moral :
‘« Je vin en cist pais seulemant por servirEncore cette exigence est-elle plus prosaïquement soumise à une nécessaire fidélité envers l’empereur qu’à une volonté divine, comme le souligne la rime, y compris léonine, entre les deux motivations « servir / mien sire / conquir »1347 . Le dessein du « roi de sus »1348 semble bien moins prégnant que la volonté terrestre, presque territoriale, du monarque.
La Chanson des Saisnes, (ms A), v. 16-21.
La Chanson de Roland, v. 2318-2321.
Doon de Mayence, éd. A. Pey, Paris, Vieweg, 1858, v. 8142-8159.
Le Voyage de Charlemagne, v. 67-71.
Gui de Bourgogne, v. 150-157.
Gui de Bourgogne, v. 4094-4099.
La Chanson de Roland, v. 3989-4002.
La Chanson de Roland, v. 3999.
Renaut de Montauban, v. 9365-9366.
La Prise de Pampelune, v. 1411, 1418, 5658-5659, 5674 et 5688.
La Prise de Pampelune, v. 195-197.
La rime léonine « mien sire » est des plus révélatrices car la forme normalement attendue aurait été « mien seigneur ». En effet, cette apposition au terme « empereour » devrait également être déclinée au cas régime, puisque C.O.D. du verbe « servir ». L’ « empereour » est en valeur car en rejet par rapport au verbe recteur, et doublement en valeur par l’intermédiaire de cette apposition qui fait intervenir une rime léonine.
La Prise de Pampelune, v. 2978.