Conclusion

Ainsi, le projet politique de Nicolas de Vérone apparaît plus clairement : le pouvoir ne tire sa légitimité d’aucun élément extérieur mais trouve ses fondements au sein même de la cité. Totalement autonome, il n’est subordonné ni au règne de Dieu, ni aux lois d’une perpétuelle hérédité. C’est le peuple, « matière vivante » selon l’expression de Marsile de Padoue1591, qui choisit et prescrit son type de gouvernement. De ce fait, aucun système ne semble immuable car le peuple est mouvant et peut, parfois, faire de mauvais choix. Dès lors, définir le bon gouvernement se borne à privilégier celui qui dépend directement de son peuple. La multiplicité des systèmes de représentation s’explique alors logiquement par la multiplicité des individus et des nations : chaque collectivité a son propre gouvernement.

La Pharsale, la Prise de Pampelune et la Passion mettent à jour un changement de perspective dans la perception que l’homme a de lui-même et du monde dans lequel il vit. Le poète franco-italien prône un idéal de monarchie plus modérée, de « royauté seulement humaine »1592 et d’empire plus humain : le statut inaccessible « d’élu de Dieu », de « souverain héréditaire » est remplacé par une autorité plus méritée que traditionnelle. Cela ne doit pas surprendre à une époque où il faut choisir son camp entre l’empereur et le pape. Du fait de l’opposition entre Guelfes et Gibelins, du fait du divorce entre Eglise et pouvoir, la monarchie de droit divin n’est pas, en Italie du Nord, à l’ordre du jour et est remplacée par une monarchie élective.

Le poète franco-italien affiche une nouvelle position, ni vraiment guelfe, ni vraiment gibeline. S’affranchissant de ce dilemme, il propose un autre type de gouvernement, plus proprement laïc et directement inspiré de l’humanisme politique et civique1593 qui milite pour le modèle romain de la république et des libertés. En ce sens, Nicolas de Vérone, tel Brunet Latin, Bonvesin della Riva ou Albertino Mussato, est un précurseur de Pétrarque, Boccace, Saluti1594 et Léonardo Bruni1595. Son œuvre est d’une étonnante modernité et témoigne d’une réflexion profondément humaniste.

Notes
1591.

Marsile de Padoue, Defensor pacis, I, 15, 5-6, p. 134-135.

1592.

E.‑H. Kantorowicz qualifie ainsi la monarchie dont Dante fait l’apologie. Voir Les Deux corps du roi, op. cit., p. 326.

1593.

De la même façon, il existe un rapport très étroit entre les humanistes florentins et la tradition rhétorique antérieure, notamment du point de vue des théories républicaines. Voir à ce sujet Q. Skinner, Les Fondements de la pensée politique moderne, Paris, Albin Michel, coll. Bibliothèque de l’évolution de l’humanité, 2001, p. 68-86. L’auteur examine « dans quelle mesure l’épanouissement de la théorie sociale et politique dans la Florence du début du XVe siècle peut se voir comme plongeant ses racines dans deux traditions intellectuelles antérieures : celle des dictatores du Moyen Age et celle des humanistes pétrarquiens de la fin du XIVe siècle », p. 156-157.

1594.

1331-1406.

1595.

1370-1440.