L’idéal héroïque présenté par Nicolas de Vérone, hérité des figures épiques et remanié au goût de l’époque pré-humaniste, exalte une certaine grandeur humaine qui se réalise sur terre et permet l’accomplissement harmonieux de chacun selon le respect propre de sa nature. La prise en considération de chaque être humain dans sa spécificité et sa singularité, ainsi que l’avènement de théories politiques républicaines ou démocratiques, favorisent la célébration d’une morale individualiste qui place au premier plan de ses préoccupations l’usage de la raison et des facultés intellectuelles.
Le poète courtisan s’inspire de la littérature de croisade et chante des héros carolingiens se battant pour la gloire de Dieu. Etant peut-être clerc et rédigeant une Passion directement traduite du Nouveau Testament, il semble porté à illustrer une morale chrétienne. Mais le recours, même secondaire, au De Bello civili participe de la redécouverte et de l’engouement pour les œuvres antiques caractéristiques du XIVe siècle. Bien que les héros de la Pharsale adoptent des comportements similaires à ceux de la Prise de Pampelune, ils n’en apparaissent pas moins comme des représentants des vertus romaines et de la philosophie stoïcienne à laquelle demeurent attachés les noms de Lucain, Cicéron et Pompée.
Les rapports entre philosophie du Portique et religion du Christ sont étroits et depuis les paraphrases, adaptations et plagiats des Pères de l’Eglise1937, « le christianisme assume ouvertement un héritage stoïcien dont il ne soupçonne cependant pas toute l’importance »1938. Au Moyen Age, par une sorte de mouvement symétrique, « Pétrarque est l’initiateur de ce mouvement qui aboutira à une sorte de stoïcisme christianisé et que nous pourrons appeler le néo-stoïcisme »1939. Les deux doctrines divergent principalement dans la vision de la place de l’homme dans l’univers : pour les théologiens, il est forcément créature déchue, à cause du péché originel, et ne peut prétendre seul au salut de son âme. Soumis à Dieu, il vit dans l’attente d’un autre monde. Or, cette notion est étrangère à la philosophie panthéiste pour laquelle nature, homme et Dieu sont une seule et même chose. Le bonheur de l’homme ne dépend donc que de lui1940. Ainsi, l’orgueil du sage s’oppose radicalement à l’humilité du saint.
Cependant, christianisme et stoïcisme se rejoignent et font l’apologie d’une même morale ascétique, que l’on peut définir comme une recherche de simplicité et d’abnégation. De même que la découverte de l’Ethique à Nicomaque a grandement influencé les modes de la pensée médiévale et que les différents préceptes ont été adaptés, commentés et intégrés à une réflexion morale, les survivances stoïciennes dont Nicolas de Vérone a pu avoir connaissance, à travers l’œuvre de Barlaam de Séminara ou certains florilèges, ont sans doute été parcellaires et fragmentées. Extraites du système philosophique global et cohérent, elles n’en sont que plus sujettes à modification.
L’évolution de la théorie des vertus et de leur classification fournit un cadre d’étude aux fondements moraux des chansons franco-italiennes et permet le nécessaire mouvement de va-et-vient entre inspiration chrétienne et philosophie stoïcienne. Il est tout à fait remarquable que l’œuvre de Nicolas de Vérone, bien qu’incontestablement épique, présente une certaine morale de l’humilité. Cette dernière réinterprète la largesse chevaleresque en la liant intrinsèquement à la pratique de l’altruisme. De la sorte, Pharsale, Prise de Pampelune et Passion font l’apologie d’une ascèse plus radicale dont l’expression ultime est la quête d’un total oubli de soi et d’un idéal de dépouillement.
M. Spanneut, Permanence du stoïcisme de Zénon à Malraux, op. cit., p. 139-140.
J.‑J. Duhot, Epictète et la sagesse stoïcienne, op. cit., p. 232.
L. Zanta, La Renaissance du stoïcisme au XVI e siècle, op. cit, p. 12.
A. Bridoux, Le Stoïcisme et son influence, Paris, Vrin, coll. A la recherche de la vérité, 1966, p. 191-197.