L’idéal humain prôné par Nicolas de Vérone dans son œuvre est particulièrement novateur par rapport aux figures épiques dont il s’inspire. Ses personnages, qui n’ont rien à envier aux héros de roman, sont complexes et nuancés et évoluent au sein d’un univers qui semble plus moderne que médiéval. Les tendances individualistes des protagonistes, le projet politique du poète et la place centrale accordée à la vertu de prudence dans la Pharsale, la Prise de Pampelune et la Passion amènent à une lecture inédite de la morale héroïque qui fait de l’humilité un de ses fondements.
Cette affirmation ne manque pas d’étonner un amateur de chansons de geste qui envisage comme un paradoxe, voire un oxymore, un héros épique humble. En effet, depuis la colère d’Achille, les légendes exaltent les passions et il n’y a point de héros qui ne soit marqué du sceau de la démesure.
En revanche, une telle morale, plus précisément chrétienne, est logiquement attendue dans la Passion où, conformément aux textes testamentaires, Jésus lave les pieds des apôtres1941, invite ses disciples à agir « par humilitié » et guérit l’oreille de Malchus « omblement »1942. C’est que le christianisme se définit lui-même comme la religion de l’humilité, ce qui lui vaut les critiques de l’Islam et du judaïsme. Mais c’est alors le choix formel de la chanson de geste pour narrer le récit de la dernière semaine de vie du Christ qui est précisément original.
Ainsi, l’antagonisme fondamental entre humilité et héroïsme épique est comparable à celui qui préside aux principes de création de la Passion franco-italienne. C’est le fait d’un procédé caractéristique de l’œuvre de Nicolas de Vérone qui mêle plusieurs inspirations et relit les textes anciens à travers le prisme d’une idéologie nouvelle. Alors, la problématique d’un héroïsme humble est directement liée à celle de l’intertextualité.
Dans les poèmes du Véronais, l’idéal moral se décline à travers trois attitudes principales et inhabituelles pour des héros épiques qui dépendent chacune d’un univers de référence différent, humaniste ou plus spécifiquement chrétien : pour le héros, il s’agit de prendre conscience de son impuissance, de reconnaître ses fautes et de faire amende honorable.
La Passion, v. 251-252.
La Passion, v. 226 et 373.