II/ Altruisme et largesse

Les œuvres de Nicolas de Vérone, dont les manuscrits ont été retrouvés dans la riche bibliothèque des Gonzague, appartiennent, on le sait, au courant de pensée pré-humaniste développé en Italie du Nord au XIVe siècle. Ce mouvement intellectuel, caractérisé par la redécouverte des textes antiques et une utilisation fréquente des formes d’écriture et de pensée grecques, s’accompagne d’un intérêt nouveau pour les philosophies anciennes.

La multiplicité des inspirations du trouvère courtisan et le recours permanent à l’intertextualité font de la Pharsale, la Prise de Pampelune et la Passion des poèmes où les idéaux chevaleresques sont réinterprétés à l’aune de conceptions, non plus seulement chrétiennes mais aussi antiques. A ce titre, l’idéal moral défendu est particulièrement novateur et les valeurs connues, sans être niées, sont présentées sous de nouveaux atours.

Il en va ainsi de la largesse épique, apanage traditionnel des héros carolingiens. Définie, à l’instar de la courtoisie, comme l’une des deux ailes de la prouesse2013, elle est le propre des hommes dignes d’éloge et est une qualité du bon roi, du chevalier louable et du chrétien vertueux. Dans la geste française, elle est incarnée par la figure de l’empereur et est normalement attendue dans tout récit héroïque. Nicolas de Vérone ne déroge pas à cette règle.

Mais il est particulièrement intéressant que ses poèmes, malgré un certain respect des contraintes génériques, deviennent le cadre d’une démonstration morale inspirée aussi bien de la théorie thomasienne des vertus remèdes que de la condamnation systématique de la convoitise et de l’égoïsme par les pré-humanistes. Dans ce cadre, la largesse n’est plus seulement le contraire de l’avarice : elle se mue en un idéal de partage et en une recherche de l’altruisme. Dans le même temps, ce qui n’était que générosité matérielle devient le signe d’une quête de l’être au détriment du paraître.

Notes
2013.

Raoul de Houdenc, Le Roman des Eles, éd. K. Busby, Amsterdam-Philadelphia, J. Benjamins, 1983. Ce poème allégorique des années 1220-1230 énumère les devoirs de la chevalerie courtoise. Largesse et courtoisie y sont désignées comme les 2 ailes de prouesse.