I/ La représentation de martyres héroïques

Dans les chansons de geste, l’exacerbation des sentiments et l’outrance des coups portés sont omniprésentes parce qu’elles s’inscrivent dans la logique d’une écriture du grandiose au sein de laquelle la mort des héros est un des sommets de l’œuvre. Tout le système poétique vise à préparer l’apothéose des personnages qui, tels des martyrs, périssent au nom de leurs idéaux2191. C’est au moment de mourir que le héros découvre le sens de son destin2192. Ainsi, la thématique de la mort édifiante, héritée des Vies de Saints, est largement représentée dans la tradition épique.

Dans chacun des trois poèmes de Nicolas de Vérone, un héros meurt, qu’il s’agisse du Christ, de Pompée, de Domice ou de Guron de Bretagne et à deux reprises, ce héros est le personnage principal du texte. Il en va différemment dans la Prise de Pampelune puisque ce texte, qui n’est pas le récit des aventures d’un héros unique, présente plusieurs figures susceptibles d’incarner l’idéal héroïque. La mort de Guron de Bretagne y paraît plus anecdotique en ce qu’elle ne détermine pas l’action générale de la chanson et n’en marque pas le terme. Deux types de morts coexistent donc dans l’œuvre du poète franco-italien : les morts nécessaires et les morts secondaires. Les premières sont celles dont l’auteur ne peut faire l’économie parce qu’elles appartiennent aux sources qu’il retranscrit et à la légende des personnages telle qu’elle est connue : celle de Jésus dans les Evangiles et celle de Pompée dans les Fet des Romains. Les secondes ne sont pas indispensables au déroulement général de l’action et s’apparentent à des motifs narratifs et rhétoriques.

Cependant, elles n’en sont pas moins significatives de l’esprit dans lequel Nicolas de Vérone conçoit l’idéal humain parce que les personnages secondaires dont il est question, Domice dans la Pharsale et Guron de Bretagne dans la Prise de Pampelune, meurent de façon tout aussi exemplaire que Pompée et Jésus. Le rapprochement est d’autant moins audacieux que les personnages principaux de la Pharsale et de la Passion ne bénéficient pas de morts dignes d’eux. La similitude de traitement entre les deux types de mort permet alors de préciser les termes de « Passion épique » : cette expression désigne la fin glorieuse des personnages. Il est ensuite possible de repérer et d’analyser les différents motifs du martyre héroïque pour voir en quoi la présentation de la mort des guerriers s’apparente à celles décrites dans les textes épiques connus.

Notes
2191.

Voir à ce sujet E. Hoyer-Poulain, « Avatars de la mort épique : Ogier le Danois du XIIIe au XIXe siècle », L’Epique : fins et confins, éd. P. Frantz, Presses Universitaires Franc-Comtoises, Paris, Belles Lettres, 2000, p. 93 ; P. Le Gentil, « Réflexions sur le thème de la mort dans les chansons de geste », Mélanges offerts à Rita Lejeune, éd. F. Dethier, Gembloux, 1969, t. II, p. 801-809.

2192.

Pour une analyse de la mort héroïque, voir par exemple M. de Combarieu du Grès, L’Idéal humain et l’expérience morale chez les héros des chansons de geste, op. cit., p. 581-664 : « La mort des héros ».