I/ Une sagesse de l’impassibilité

La mesure apparaît comme une notion importante et novatrice dans l’épopée franco-italienne. Les héros de la geste française, hier excessifs, sont désormais plus calmes et modérés, savent prendre le temps d’analyser la situation et font preuve d’une vivacité maîtrisée. La prudence est devenue l’expression de la sapientia épique et la Pharsale, la Prise de Pampelune et la Passion apparaissent comme autant d’illustrations des principes moraux édictés dans les ouvrages théoriques de l’époque.

Plus radicalement, Nicolas de Vérone prône dans ses poèmes un idéal d’ataraxie qui pousse les héros mourants à accueillir leur fin avec bonheur. Plus sages que saints, ils parviennent à maîtriser leur corps et s’émancipent de la relation contraignante à Dieu. Ainsi, le stoïcisme du poète franco-italien est une revendication de l’indépendance de l’être humain qui s’exprime par la foi illimitée en les capacités de son génie.

Au-delà d’une simple retenue, la sagesse telle que la conçoit Nicolas de Vérone, vise à atteindre l’impassibilité. Cette dernière est graduelle parce que l’idéal humain comporte plusieurs niveaux. De la sorte, elle peut consister en une simple intériorisation des sentiments ou à une véritable apatheia, qui se définit comme la tranquillité de l’âme ayant atteint le complet détachement. Entre ces deux positions extrêmes, la devise du nihil mirari propose un concept applicable au quotidien. Il convient de ne s’étonner de rien, pas même de la mort, parce qu’elle fait partie de l’ordre des choses.

Dans les poèmes du Véronais, l’aspiration à l’indifférence s’exprime dans deux contextes principaux qui se superposent et qui construisent une image complexe de l’univers héroïque et belliqueux : celui de l’énergie guerrière minorée par des impératifs plus moraux que pragmatiques et celui du deuil accompagné d’une profonde douleur.