2.2.2.5 Intérêts et limites de la transposition de l'outil scientifique dans le monde scolaire

Les scientifiques qui tiennent un cahier de laboratoire sont des experts dans leur discipline, souvent pointue, qui ont choisi de consacrer un temps de leur vie à cette discipline. L'affiliation à un domaine de savoirs est un choix personnel qui pousse le professionnel à adopter les règles qui s'imposent au sein de la communauté scientifique à laquelle il a décidé d'appartenir. La tenue du cahier de laboratoire fait partie de ces règles. Il n'en est pas de même pour les élèves de Cours Préparatoire qui appartiennent de fait et sans l'avoir choisi, à une communauté scolaire dont les centres d'intérêts décidés par d'autres dépassent largement tout en les incluant, ceux de l'enseignement des sciences. Pour certains enfants, l'école est vécue comme une violence dont nous avons évoqué les risques au cours du chapitre précédent. Les deux communautés ont toutefois en commun de mobiliser l'écrit et la conservation des écrits au jour le jour, pour construire des savoirs scientifiques nouveaux. Mais la nature et la portée de l'aventure de la découverte diffèrent entre les deux communautés. A l'école, les élèves ont à découvrir des savoirs déjà construits par d'autres avant eux. A quelles conditions l'élève de Cours Préparatoire peut-il se sentir partie prenante de la grande aventure humaine de la découverte ?

Chez les scientifiques experts et dans les classes d'élèves qui savent lire et écrire, l'écrit participe "naturellement" de la démarche scientifique comme instrument maîtrisé. Au Cours Préparatoire, les élèves apprennent à lire et à écrire en même temps qu'ils apprennent les sciences, en même temps qu'ils apprennent à gérer un cahier dans les règles de l'école élémentaire. L’écrit est un objet d'apprentissage à part entière et un instrument au service de l'apprentissage d'un autre objet de savoir, scientifique celui-là. Si le cahier est un "lieu de convergence entre enseignement des sciences et maîtrise du langage"(MAP, 1999), il convient de bien définir les contours de cette zone de convergence au Cours Préparatoire.

Lorsque les scientifiques décident de publier leurs travaux, ce n'est pas le cahier de laboratoire qu'ils diffusent mais un écrit retravaillé en fonction des savoirs nouveaux et des publics visés. Le cahier d'expériences assurerait la double fonction d'accompagnement de la découverte dans ses tâtonnements, essais et erreurs et de diffusion des savoirs construits, validés et structurés. Au Cours Préparatoire, cette bivalence de l'outil n'est-elle pas source de tensions et d'embarras pour les enseignants, les enfants et les autres utilisateurs ?

Pour mieux rendre compte de la complexité de ce qui se joue autour de l'objet technique devenant objet pédagogique, nous avançons l'idée que le cahier de sciences a une portée symbolique (Tisseron, 1999). Le cahier de sciences est un médiateur entre fait psychique et fait social, outil d'accompagnement de l'individu apprenant les sciences à l'école et outil passerelle entre les différentes communautés auxquelles appartiennent les acteurs qui l'utilisent.