2.4 Le cahier de sciences, cahier pour soi, cahier pour les autres

Le cahier dans lequel l'élève consigne ce qu'il fait et apprend en sciences au Cours Préparatoire est un médiateur entre les sujets-acteurs et le monde de la nature, entre soi et les autres, entre expérience psychique et expérience sociale. Il est à la fois un espace de convergence et un lieu de partages.

En nous inspirant du tableau que propose Jean Pierre Astolfi dans " Comment les enfants apprennent les sciences" (1998 : 130) et du document d'accompagnement du Ministère (2002c), et partant du principe que le cahier de sciences englobe et dépasse la nature et les fonctions de l'écrit en sciences, nous synthétisons ces deux perspectives dans le tableau qui suit.

Tableau 1 : Le cahier pour soi, le cahier pour les autres
  Fonctions du cahier Ce que permet le cahier




Le cahier pour soi

Le cahier structure
Agir Exprimer ce que je pense. Dire ce que je vais faire Ecrire pour fixer les buts de l'activité. Planifier l'investigation en référence à ce but. Préciser un dispositif. Prévoir les observations à recueillir. Décrire ce que je fais, ce que j'observe. Mettre en correspondance les suppositions et les résultats. Reformuler les conclusions collectives.
Mémoriser Ecrire pour garder traces d'observations, de recherches, de lectures.
Libérer l'esprit d'éléments secondaires. Stocker, conserver des écrits.
Revenir sur une activité antérieure. Rendre disponibles des résultats.
Effectuer un contrôle a posteriori sur un écrit ou un ensemble d'écrits.
Comprendre
S'expliquer à soi-même, structurer
Reprendre les écrits d'une séquence ou d'un ensemble de séquences et permettre un temps de réflexion personnelle sur l'objet d'étude de la séquence.
Donner une vue synoptique.
Réorganiser, trier, classer, ranger, comparer mettre en relation pour structurer, réécrire. Reformuler des écrits collectifs. Passer d'un ordre chronologique lié à l'action à un ordre logique lié à la connaissance en jeu.
Confronter le savoir établi en classe avec le savoir savant.
Construire son identité d'apprenant en sciences. Construire son rapport aux sciences comme domaine disciplinaire.
Préciser les éléments du savoir en même temps que les outils pour le dire. Construire son rapport à l'outil-cahier comme instrument de structuration de compétences. Construire son rapport à l'écrit au travers des activités de sciences.


Le cahier pour d'autres, avec d'autres

(Les autres élèves de la classe, les élèves d'une autre classe, les parents, l'IEN, les autres enseignants)

Le cahier passerelle
Transmettre
Faire savoir que l'on sait
Transmettre ce qu'on a compris, une conclusion, une synthèse.
Retravailler avec d'autres une version provisoire sur un objet d'étude, un ensemble d'objets d'étude, un domaine des sciences, les sciences, ses concepts, ses procédures, ses finalités.
Répondre à une question sur objet d'étude, un ensemble d'objets d'étude, un domaine des sciences, les sciences, ses concepts, ses procédures, ses finalités
Questionner Utiliser le cahier pour poser des questions aux autres élèves de la classe, à une autre classe, à des parents, à des scientifiques, à d'autres enseignants. Questionner sur un dispositif, une recherche, une conclusion.
Expliquer Faire une synthèse sur un objet d'étude, un ensemble d'objets d'étude, un domaine des sciences, les sciences, ses concepts, ses procédures, ses finalités.
Relire pour vérifier et expliquer ce que l'on a fait et appris en sciences.
Utiliser le cahier comme référence pour expliquer, argumenter ce qu'on a compris des sciences. Rendre compréhensibles pour les autres les sciences comme domaine disciplinaire. Réduire l'implicite.
Synthétiser Cerner l'essentiel. Eliminer l'accessoire. Hiérarchiser, mettre en relation les éléments du savoir en même temps que les outils pour le dire.
Construire son appartenance
à une communauté
Partager avec d'autres élèves et d'autres adultes les mêmes références, les mêmes codes, les mêmes savoirs scientifiques. Prendre conscience que la science revêt un aspect d'universalité.
Prouver que l'on fait correctement son travail d'enseignant des sciences.

Dans une perspective plutôt classique, le cahier de l'élève est le signe d'appartenance à une communauté scientifique particulière, soudée par des liens intracommunautaires et organisée par un contrat didactique local. Il s'agit d'une communication interne et spécialisée coupée du monde "ordinaire", inscritedans l'idée bachelardienne de "cité scientifique" au sein de laquelle les scientifiques se transmettent les outils intellectuels de la discipline, ses concepts, ses démarches et ses résultats. Dans cette perspective, le cahier de l'élève est le reflet des connaissances acquises dans un cadre normé et fermé. Il fonctionne en interne dans la classe et se suffit à lui-même comme moyen didactique. C'est ce que nous croyons comprendre de l'approche officielle actuelle et ce que révèle la discrétion qui entoure les pratiques des enseignants du Cours Préparatoire.

Compagnon de l'enfant apprenant, le cahier de sciences de l'élève est aussi un objet de communication entre des mondes différents, le monde des savoirs scientifiques scolaires et la société ordinaire. L'élève devient porteur d'un objet de transition et de communication entre l'école et l'extérieur de l'école. A l'instar du chercheur ou de l'équipe de chercheurs qui rend publiques ses travaux après les avoir retravaillés pour en faire une œuvre diffusable, le concepteur du cahier de l'écolier ne peut se dispenser d'une réflexion sur le statut donné à l'objet, objet privé ou objet public. Cette hypothèse moderne renvoie à l'idée de communauté au sens large, aux rites et coutumes d'échanges entre communauté scientifique et société. L'approche a une portée sociologique, dans la perspective d'une socialisation des savoirs scientifiques, de l'alphabétisation scientifique des sociétés (Fourez, 1998 ; Larochelle, 1992). La construction des savoirs peut se faire dans les deux sens : du monde scientifique vers le monde ordinaire et du monde ordinaire vers le monde scientifique.