Moïse et la religion monothéiste

Dans « Moïse et la religion monothéiste », Freud entreprend de revisiter la vie de l’homme Moïse. Il émet l’hypothèse que Moïse ne fut pas un juif, mais un égyptien, hypothèse appuyée par Freud sur la circoncision, pratique présente en Egypte ancienne, que Moïse donna à son peuple : les juifs. Notre propos n’est pas d’examiner la valeur de cette hypothèse, mais de se saisir de la démarche freudienne à travers cet ouvrage : le meurtre du père dans la constitution de la religion monothéiste, ainsi que le statut du père en constitue la trame.

Freud, reprend le contenu de « Totem et Tabou » : meurtre du père de la horde primitive par les fils, incorporation du père en tant que tentative d’identification avec lui, instauration du tabou de l’inceste, obligation de l’exogamie et mise en place d’un substitut du père dans le totem. Après ce que Freud nomme le retour du refoulé au sens « de quelque chose de passé, de disparu, de dépassé dans la vie des peuples », le père redevient le chef de famille, le totem cède la place au dieu et l’idée d’un dieu unique se met en place peu à peu, d’un dieu tout puissant : « la souveraineté du père de la horde primitive se trouva rétablie, et les affects qui le concernaient purent être répétés ». Ainsi naquit le monothéisme.

Freud poursuit sur la nécessité pour l’enfant de porter le nom du père et de l’importance de la paternité par rapport à la maternité, même si celle-ci n’est pas prouvée par les sens. Le statut du père revêt pour Freud une importance certaine, statut que M. Moscovici résume dans la préface du livre : 

‘« Statut étrange des pères, d’être non seulement non divins, non seulement non certifiés par le témoignage sensoriel, mais encore d’être désignés comme pères par une opération de pensée des fils, par leur geste d’acceptation du nom ; d’être, en outre, à la fois des fils et des pères, et plus secrètement sans doute, d’avoir à se reconnaître fils (d’un père) afin de pouvoir devenir « pères » à leur tour. »17

Dans cet ouvrage, Freud nous parle longuement de la religion du père : la religion des juifs et de la religion du fils : le christianisme et analyse ce qui les différencie.

Au-delà de ce qui vient d’être écrit, il apparaît que ce dernier grand ouvrage freudien est une recherche des causes de l’antisémitisme et de la propre judaïté de Freud ainsi qu’une recherche sur la transmission. En effet, Freud saute le pas et affirme que :

‘ « L’héritage archaïque de l’homme n’englobe pas seulement des dispositions mais aussi des contenus, des traces mnésiques relatives au vécu de générations antérieures »18

Il poursuit en avouant qu’il n’avait pas vraiment jusqu’à présent pris en compte :

‘« L’hérédité de traces mnésiques relatives à ce qui a été vécu par des ancêtres. »19

La prise en compte de cette notion lui permettra de faire le lien entre l’individu isolé et la société, c’est à dire entre la psychologie individuelle et la psychologie des masses.

Cette double liaison freudienne de la trace transgénérationnelle, et du sujet singulier en prise avec le collectif nous permet d’associer avec la pensée de C. Castoriadis, qui va, d’une certaine manière développer le lien entre le sujet singulier et l’institution sociale :

‘ «  Il est impossible de méconnaître que l’individu social ne pousse pas comme une plante, mais est créé-fabriqué par la société, et cela toujours moyennant une rupture violente de ce que sont l’état premier de la psyché et ses exigences. Et de cela, toujours une institution sociale, sous une forme ou une autre, aura la charge. »20

A travers l’analyse de ces ouvrages nous constatons que la notion d’échange en est le liant : interdits fondateurs de l’organisation sociale, processus identificatoires nécessaires à la vie en communauté, renoncement aux visées pulsionnelles, sont « les conditions » pour que l’échange puisse exister dans le groupe social.

Il s’agit de l’échange nécessaire d’un renoncement pulsionnel au profit d’un moins de souffrance pour chacun des membres de la communauté.

Nous remarquons aujourd’hui que dans notre société les cadres érigés soubassement du lien social et porteurs des interdits fondamentaux, ainsi que de la protection nécessaire liée aux besoins humains des hommes ne remplissent pas toujours leurs fonctions.

En effet, nous sommes confrontés à l’heure actuelle à un en plus de souffrance et l’inégalité des hommes entre eux persiste toujours.

Nous constatons aussi que dans la formation du groupe et des règles qui le constitue ainsi que de la place de chacun, la souffrance s’y engouffre et laisse de côté certains membres du groupe. 

Renoncer pour être c'est-à-dire : échanger afin de se situer parmi les autres, cela est une difficile épreuve pour la majorité des sujets car le gain lié au renoncement semble absent.

Les ratés du don de la pulsionnalité du sujet pour être dans l’échange montre l’afonctionnalité de cet échange.

Le rôle du père, ainsi que la fonction tiers qui lui est afférente paraissent défaillants comme le montre de nos jours la difficile acceptation de la loi pour les membres de la communauté où l’établissement du lien qui les unit porte le visage de l’intrus ; c’est à dire qu’il laisse apparaître la difficile acceptation de l’autre.

Interdits fondateurs de l’organisation sociale, processus identificatoires nécessaires à la vie en communauté, renoncement aux visées pulsionnelles, sont « les conditions » que Freud a développé dans les ouvrages pré cités pour que l’échange puisse exister dans le groupe social.

Notes
17.

Freud S, Moïse et la religion monothéiste, p. 34

18.

Freud S, ibidem, p.195

19.

Freud S, ibidem, p.195

20.

Castoriadis C., L’institution imaginaire de la société, p. 453