D- Le don

Analyse de M. Mauss

Mauss dans son ouvrage : « Essai sur le don, forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques », porte sa réflexion sur le mode d’échange des sociétés qui nous ont précédées, et se pose la question : 

‘«  Quelle est la règle de droit et d’intérêt qui, dans les sociétés de type arriéré ou archaïque, fait que le présent reçu est obligatoirement rendu ? Quelle force y a t il dans la chose qu’on donne qui fait que le donataire la rend ? »61

Avant de répondre à cette question, il nous enseigne que dans ces sociétés, il n’y a pas d’échanges basés entre individus, mais entre des collectivités, collectivités qui s’obligent mutuellement, échangent et contractent. L’échange n’est pas uniquement basé sur des biens, des marchandises mais aussi des festins, des rites, des danses, des femmes, des enfants.

Ce type d’échange, basé sur des cadeaux, et appelé : « système des prestations totales. » Mauss a observé un type de prestation totale particulier qui revêt une allure agonistique où prévaut une lutte des nobles pour la hiérarchie ; prestation nommée du nom de : « Potlach. »

Il poursuit en stipulant que ce qui oblige dans le cadeau reçu, c’est que la chose reçue est quelque chose du donateur, elle est détentrice du « hau », c’est çà dire d’un pouvoir spirituel qui poursuit tout détenteur de la chose reçue ; d’où :

‘« Il s’ensuit que présenter quelque chose à quelqu’un c’est présenter quelque chose de soi. » 62

De par le contenu de la chose donnée, Mauss considère qu’il y a une logique à rendre à autrui ce qui est « parcelle de sa nature et de sa substance », car accepter un don de quelqu’un c’est accepter quelque chose de : « son âme, son essence spirituelle », et la conservation de cette chose est dangereuse car illicite, parce qu’elle a une prise magique et religieuse sur soi.

A côté de l’obligation de rendre, dont nous venons de saisir le sens caché, Mauss précise deux autres obligations de l’échange : l’obligation de faire des cadeaux, et l’obligation de recevoir des cadeaux. Le don est pris dans un système d’échanges marqué par cette triple obligation dont Mauss développe chaque composante.

L’obligation de donner « est l’essence du potlach », le chef doit donner des potlach pour conserver son autorité sur sa tribu, village, famille. Il doit prouver qu’il possède de la fortune en la distribuant, en humiliant les autres, « en les mettant  à l’ombre de son nom. »

La distribution des biens est selon l’auteur :

‘« L’acte fondamental de la « reconnaissance » militaire, juridique, économique, religieuse, dans tous les sens du mot. On « reconnaît » le chef ou son fils et on lui devient «  reconnaissant.»63  ’

L’obligation de recevoir implique que l’on n’a pas le droit de refuser un don car c’est montrer que l’on craint d’avoir à rendre, c’est :

‘« Craindre d’être aplati tant qu’on n’a pas rendu. »64

L’obligation de rendre d’une manière digne est fondamentale car sinon :

‘« On perd la « face » à jamais si on ne rend pas ou si on ne détruit pas les valeurs équivalentes. La sanction de l’obligation de rendre est l’esclavage pour dette. »65

A partir d’une analyse du legs de Mauss, dans son livre : « L’énigme du don », M. Godelier considère que l’explication du pourquoi l’on rend qui repose sur des mécanismes spirituels, religieux, qui prêtent aux choses données une âme qui les pousse à revenir vers le donataire, n’explique pas l’origine réelle de l’obligation d’avoir à donner en retour ce que l’on a reçu ; elle explique la manière, dont pour les individus, cette obligation est pensée, légitimée.

Pour cet auteur, ce qui met en mouvement les choses, c’est chaque fois :

‘«  La volonté d’établir ces liens personnels exprime plus que la volonté personnelle des individus et des groupes, et plus même que le domaine de la volonté, de la liberté des personnes (individuelles ou collectives). Car, ce qui se produit ou se reproduit à travers l’établissement de ces liens personnels, c’est l’ensemble ou une part essentielle des rapports sociaux qui constituent l’assise de leur société et lui impriment une certaine logique globale qui est, en même temps, la source de l’identité  sociale des individus et des groupes qui en sont membres. » 66

Nous faisons notre cette analyse qui privilégie le désir ou la nécessité d’établir des liens entre les individus ; volonté qui n’exclu pas le rôle des croyances dans le comportement, mais celles-ci n’ont pas la primauté que Mauss leur donne.

Par ailleurs, nous reviendrons sur l’analyse de la chose non donnée en la mettant en travail avec le champ d’analyse psychanalytique.

Notes
61.

Mauss M, Essai sur le don, forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques in Sociologie et anthroplogie, p. 148

62.

62 Mauss M, ibidem, p 161

63.

Mauss M, ibidem p. 209

64.

Mauss M, ibidem,  p.210 

65.

Mauss M, ibidem, p 212

66.

Godelier M, L’enigme du don, p.142