Les entretiens

Le premier entretien se caractérise par son mode communicationnel original. 

En effet, Paul vient «  pour voir », car son assistante sociale lui a suggéré de me rencontrer.

D’entrée de jeu, le franc parler de Paul tranche avec l’attente ou l’inquiétude dont sont parés la majeure partie des sujets au Rmi.

Son aspect extérieur est peu conformiste : ses cheveux sont teints en rouge, il porte des bagues aux doigts, un anneau au pouce ainsi qu’une boucle d’oreille.

Au niveau contre transférentiel j’ai ressenti un sentiment de malaise devant ce qui m’évoquait le mouvement « punk » c’est-à-dire, une certaine forme de violence, au niveau social.

J’ai signifié à Paul quelle était ma fonction dans le cadre de l’insertion sociale, et le fait que cette première rencontre soit une première rencontre. En d’autres termes que la décision de me revoir dans le cadre d’entretien de soutien psychologique lui appartenait.

En lui signifiant ces paroles, je voulais que Paul entende que le contrat d’insertion lié à des entretiens de soutien psychologique n’était pas une contrainte mais un libre choix.

Comme avec tout premier contact avec les sujets que je rencontrais dans le cadre de mon travail, je l’ai interrogé sur sa place dans la fratrie, sa situation familiale, et le pourquoi était-il au Rmi.

Paul parle au cours de ce premier entretien avec facilité, et un certain débit verbal de sa famille. Il nomme ses quatre sœurs, et son frère aîné, lui étant l’avant-dernier, et je relève que tous les prénoms sont d’origine biblique ; j’entends par là d’origine hébraïque.

Paul me dit que : « c’était le choix de son père » et que son prénom signifie : « fils de douleur » mais que sa mère l’a toujours surnommé : «  l’absent. »

J’ai été sidéré par les paroles de Paul car il énonçait sans affect le surnom que sa mère lui avait donné.

Son surnom, ne faisait-il pas écho à celui qui n’est pas là, dont la présence existe mais qui s’est absenté ou qui est absenté ?

Aujourd’hui, dans l’après-coup il m’apparaît que Paul déposait une absence. Il me faisait revivre la partie la plus primitive de sa psyché, c’est-à-dire la fusion d’avec le corps de la mère.

Paul évoqua le fait qu’il avait peu connu son père car celui-ci était mort quand il avait onze ans. Il décrivit son père : « comme un homme qui aimait les fossiles », père dont il avait peu de souvenir.

Il enchaîna sur le remariage de sa mère quand il avait cinq six ans, et parla de son beau-père comme d’un inconnu : « j’avais peu de contact avec lui, il faisait beaucoup de déplacements. »

Dans la réalité, sa mère divorcera quand Paul avait vingt-cinq ans.

J’interrogeais Paul sur le fait qu’il est nommé son ex beau-père « inconnu » alors qu’au niveau temporel cet homme avait vécu une vingtaine d’années avec sa mère.

J’écoutais Paul parler des deux divorces de sa mère, et de la mort de son père, en remarquant le manque d’affect. Il racontait une histoire qui n’était pas la sienne, dans laquelle il était spectateur.

Une fois de plus, il n’était pas présent. Mettait-il en place une pensée opératoire ? Défense contre quoi ?

Je ne pouvais pas à ce stade de l’entretien, entendre les différents enjeux psychiques inconscients de l’histoire de Paul.

Dans sa manière d’énoncer, Paul mettait l’homme dans une position psychique d’indifférenciation.  Son père a été remplacé peu de temps après par un autre homme ; tous les deux étant pour Paul des inconnus pour des raisons différentes. Comme si d’une certaine manière, c’était l’homme que Paul privilégiait et non le couple formé dans un premier temps, par son père et sa mère, puis dans deuxième temps par sa mère et son beau- père.

Cette position psychique est un point nodal, par rapport aux variables, que j’évoquerais dans l’analyse thématique du discours des sujets.

Paul parla ensuite de : «  Nais. » Ne comprenant pas de qui voulait-il parler, j’apprends que sa mère s’était dit-il : « rebaptisée car elle n’aimait pas son prénom. » Paul nommait sa mère par ce surnom, il ne disait pas : ma mère ou maman.

Il y a dans cette énonciation un autre point nodal. En effet, Paul avait intériorisé le « baptême », de sa mère, il l’appelait du prénom de sa nouvelle naissance, le mot mère qui instaure la filiation n’était pas dit.

Paul était le fils de qui ? D’une mère qui s’était auto- nommée, et d’un père qu’il avait à peine connu. D’une mère qui psychiquement s’est auto-engendrée, barrant ainsi l’accès à la dynamique de la nomination parentale qui la désignait.

Paul continua de parler de sa mère en disant qu’elle a : « des goûts paranormaux, qu’elle tire les cartes, qu’elle fréquente des gens qui fêtent la fête de la lumière, des illuminés. »

Il poursuivit en évoquant une scène où une nuit de la saint Jean, alors qu’il avait onze ans, sa mère et des amis étaient autour du feu avec des : « des couronnes sur la tête », lui étant perché sur un arbre dont il était tombé.  Il s’était dit-il trouvé : « entre la vie et la mort», et s’était senti coupable car : « Je faisais tout le temps le con. »

En écoutant Paul raconter cette scène dramatique, je ressentais au niveau contre transférentiel, sa souffrance à travers un mouvement d’identification projective. J’associe aujourd’hui cet accident, pour ne pas dire ce drame, à une sorte d’auto-sacrifice.

Paul ne s’était-il pas vécu comme l’objet sacrificiel, tel le fils d’Abraham, donné comme offrande à Dieu, comme preuve de son amour pour lui. En effet, Paul perché sur son arbre s’était éprouvé lui aussi à travers une chute qui avait failli être mortelle.

C’était comme si, à travers une mise en acte, la pulsion de mort se déployait dans un premier temps, pour ensuite psychiquement se retourner en un sentiment de culpabilité ; sentiment qui n’avait rien d’œdipien, et qui lui permettait de tenir à distance les différentes composantes pulsionnelles en jeu. En effet, dans l’histoire d’Abraham nous constatons, que la menace de mort sur son fils s’est évanouie quand Abraham entendit une voix intérieure lui proférer l’interdit.

Paul est ce fils qui attend sur l’autel du sacrifie le père qui va lui sauver la vie, lui transmettre l’interdit de la castration, interdit que ce même père aura intériorisé, symbolique de la transmission transgénérationnelle, qui psychiquement n’aura pu être transcrite, pour cause d’absence paternelle..

Il se joue ici un double mouvement au niveau pulsionnel, devant l’impasse à laquelle est confrontée Paul, de l’impossible intériorisation de l’interdit de la castration. Impasse qui implique un mouvement homosexuel et un désir incestueux pour la mère. Ce double mouvement qui ne peut s’élaborer dans une conflictualisation va s’externaliser.

A la fin de l’entretien, je proposais à Paul de le revoir, en précisant qu’il s’agissait d’établir ensemble, des liens à partir de son histoire, et de ses projets professionnels.

Il accepta en disant : « Jusqu’où ça va aller ?  » 

La restitution de ce premier entretien marque le lien entre le contenu de l’histoire du sujet, et ma pensée associative.